Victoria
admet qu’elle a forcé l’affection de tous par ses « manières franches et confiantes ».
Victoria reprend la mer au port de Kingstown, dont les quais sont bondés d’une foule conquise. Qu’elle soit accompagnée de ses enfants suscite un engouement particulier. Soudain on aperçoit la reine en robe blanche qui court sur le pont du yacht et grimpe lestement sur la grande aile de la roue. Bientôt rejointe par le prince Albert, qui lui donne le bras, elle agite son mouchoir pour remercier les Irlandais de leur chaleureux accueil. Les machines sont stoppées. Les aubes du vapeur se taisent. Les cris de la multitude redoublent. Le Victoria & Albert glisse très lentement, interminablement, sous l’ovation populaire.
Contraints par un vent contraire de s’abriter jusqu’au lendemain dans le loch de Belfast, ils font route vers l’Écosse. En baie de Roseneath, ils reçoivent à bord des capitaines de vaisseau. Frederick William Beechey, qui accompagna Sir William Edward Parry dans son expédition au pôle Nord, a tant de choses passionnantes à raconter.
« 15 août, Balmoral. – Cela semble comme un rêve d’être de retour ici, dans notre chère maison des Highlands. »
Victoria, enceinte pour la septième fois, apprécie plus que jamais le froid vivifiant de l’Écosse. Les excursions se succèdent, dans ce cher pays brumeux, dont les ruisseaux et les rivières sont gonflés par les pluies. Ils s’en vont dormir dans une cabane perdue au milieu des collines d’Alt-na-Giuthasach. Albert commence à apprendre le gaélique, prenant des leçons des Highlanders qui les accompagnent.
En octobre, George Anson, dont la femme attend un enfant, décède subitement. Le prince Albert est particulièrement affecté. Si Anson lui avait été imposé comme secrétaire particulier au temps de Melbourne, avec le temps il en était venu à le considérer comme son seul ami intime en Angleterre.
34
En janvier 1850, la flotte britannique de Méditerranée entre dans le Pirée et entame le blocus du port d’Athènes. L’ordre est venu du ministre des Affaires étrangères, Lord Palmerston. Les tenants de cette situation remontent à Pâques 1847, lorsque Don Pacifico, le consul général du Portugal à Athènes, qui se trouve être juif, a été dévalisé par une bande d’antisémites. Sa maison a été saccagée, ses biens pillés. Il semble que parmi ses agresseurs se trouvait un fils du ministre de la Guerre. Don Pacifico a demandé réparation aux autorités grecques, à hauteur de 81 millions de livres sterling. Voyant sa requête rejetée, il a fait état de sa citoyenneté britannique, car il est né à Gibraltar, pour demander l’aide du gouvernement de Sa Majesté.
Au Foreign Office, Palmerston défend sa cause, avec d’autant plus d’ardeur qu’il n’a aucune affinité particulière pour le roi Othon, le prince allemand placé sur le trône de Grèce l’année après que Léopold accédait à celui de Belgique. Les Grecs persistant à faire la sourde oreille, Palmerston vient d’ordonner à la Navy d’investir le Pirée, afin d’y saisir autant de marchandises qu’il faudra pour rembourser Don Pacifico. L’indemnité qu’exige le plaignant est exorbitante et le procédé de Palmerston inacceptable. La France rappelle son ambassadeur et la Russie menace de faire de même.
Victoria et Albert voient enfin l’occasion tant attendue de forcer Palmerston à quitter le gouvernement. Stockmar a rédigé un mémorandum à toutes fins utiles. Victoria en recopie les termes, dans une lettre qu’elle envoie à son Premier ministre, Lord Russell.
« La reine juge bon, afin de prévenir toute erreur à l’avenir , d’expliquer brièvement ce qu’elle attend de son ministre des Affaires étrangères . Elle requiert : (1) qu’il déclare distinctement ce qu’il propose dans un cas donné, afin que la reine puisse savoir tout aussi distinctement ce à quoi elle a donné sa royale approbation ; (2) après qu’elle a donné son approbation à une mesure, que celle-ci ne soit pas arbitrairement altérée ou modifiée par le ministre. Tout acte de cette nature sera nécessairement considéré par elle comme un manque de sincérité à l’égard de la Couronne, et comme devant être justement réprimé par l’exercice de son droit constitutionnel de renvoyer ce ministre. »
Un autre ministre eût démissionné, mais « Old Pam » a plus d’un tour dans son sac. Palmerston
Weitere Kostenlose Bücher