Victoria
reine Charles de Leiningen, le colonel Gordon et Lord James Murray entrent dans l’eau jusqu’aux genoux avec les gens du lieu.
Deux d’entre eux déroulent un filet. Les autres, armés de lances, se déployent sur toute la largeur de la rivière. Quelques beaux poissons s’échappent en bondissant.
Soudain, deux hommes tombent dans un trou et l’un d’eux coule à pic. Nobles et roturiers se jettent à l’eau d’un même élan pour le sauver, tandis que Victoria, angoissée, se blottit au bras de Lord Carlisle.
La partie de pêche étant ici gâchée, on recommence plus en amont. Cette fois-ci, la chance sourit. Sept saumons d’argent frétillent au bout des lances ou dans le filet.
« J’aurais voulu avoir le pinceau de Landseer ! »
Voici le capitaine Forbes et ses Highlanders, cornemuses en tête. Ils poussent trois fois trois hourras, en lançant leurs bonnets en l’air, pour saluer la reine. Les hommes de Sa Majesté insistent pour porter soldats et sonneurs sur leurs dos de l’autre côté de la rivière, où ils s’éloignent en marchant au pas au son du pibrock .
« C’était très courtois et digne des temps de la chevalerie. »
Lorsque Victoria rentre à Londres, c’est pour y voir apparaître le spectre d’un Moyen Âge moins plaisant. Le 24 septembre 1850, le pape Léon IX a publié une bulle rétablissant la hiérarchie catholique romaine en Angleterre. Il divise le territoire en douze diocèses, sous la haute autorité du cardinal Wiseman, qu’il nomme archevêque de Westminster.
La réaction de l’opinion ne se fait pas attendre : le pays bouillonne d’imprécations contre cette « agression papale ». Il est inconcevable de remettre ainsi en question l’Acte de suprématie. On se croirait soudain revenu au temps de Henry VIII. Victoria est d’autant plus furieuse que le Saint-Père n’a pas jugé bon de l’en avertir, elle, ni son gouvernement.
Sans aucun doute, Sa Sainteté aura été induite en erreur par les agissements séditieux du mouvement d’Oxford. Ces « fils indignes de l’Église d’Angleterre », ces « serpents dans l’herbe », qui prônent depuis longtemps le retour à des formes romaines de rituel ! Ils sont les « jésuites cachés de ce pays ».
« Je le répète, écrit Victoria à Léopold, les “prêtres” d’aujourd’hui ne sont pas le clergé des temps anciens, et c’est cette domination des prêtres qui me répugne et me fait horreur, et c’est contre eux que je proteste au nom du protestantisme. »
Cette bulle papale s’explique peut-être en partie par l’augmentation du nombre des catholiques, résultat de l’immigration massive d’Irlandais que la famine pousse à chercher refuge en Angleterre. Quoi qu’il en soit, c’est une remise en question directe de l’autorité spirituelle de la souveraine, qui est en Grande-Bretagne le chef de l’Église. La nation paraît touchée dans sa fibre essentielle. L’agitation morale est à son comble. On répète à l’envi tout ce qui est exécrable dans le papisme : l’adoration des saints, la prétendue infaillibilité du pape, le signe de croix et autres simagrées superstitieuses, les obscurs marmonnements de la liturgie, la confession et l’absolution, l’influence des prêtres, qui attente à la liberté de conscience et place le peuple sous la domination d’une puissance étrangère.
Néanmoins, Victoria déteste tout autant le sectarisme des ultras protestants. Au début du mois d’octobre, la mort de sa tante Louise, reine des Belges, lui remet douloureusement en mémoire combien elle a eu d’occasions de déplorer cette intolérance religieuse.
« Sincèrement protestante, je l’ai toujours été et le resterai toujours, mais pour indignée que je sois contre ceux qui se disent protestants, alors qu’en fait ils sont tout le contraire, je ne peux pas supporter d’entendre ces violentes insultes contre la religion catholique, qui sont si pénibles et si cruelles envers de si nombreux bons et innocents catholiques romains. »
Le gouvernement prépare une loi sur les titres ecclésiastiques, interdisant les sièges épiscopaux catholiques. Toute propriété léguée à une personne ayant accepté de tels titres sera confisquée au profit de la Couronne.
« No popery ! » En février 1851, quand Victoria traverse Londres en procession pour aller ouvrir la première session parlementaire dans les nouveaux bâtiments de Westminster,
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