Victoria
l’événement.
L’opinion publique s’enthousiasme pour le projet. Le journal satirique Punch , dont le rédacteur en chef, Mark Lemon, est aussi l’un des éditeurs de l’ Illustrated London News , baptise cela « le palais de Cristal ». Toutes les objections soulevées jusque-là étant caduques, la commission de l’exposition s’incline devant la pression du public. Le prince Albert confie la construction à la firme Fox & Henderson, sous la supervision de Henry Cole. « Paxton vobiscum » est le bon mot du moment.
Quand revient le mois de septembre, c’est dans un esprit quelque peu rasséréné que Victoria et Albert partent en Écosse, pour leur séjour habituel à Balmoral. Ils n’en demeurent pas moins pensifs et préoccupés. Quelques jours avant leur départ, ils sont allés à Claremont présenter leurs condoléances à la famille de Louis-Philippe, qui venait de mourir. Cette disparition, peu de temps après celle de Peel et celle du duc de Cambridge, alors que celles d’Anson et de Melbourne laissent une tristesse encore vive dans leur souvenir, produit un sentiment étrange. À Bruxelles, la reine Louise est gravement malade. La mort d’un être après l’autre survient, et l’on se sent à chaque fois un peu plus seul dans un monde indifférent qui ne sera jamais plus le même.
Louis-Philippe donne l’impression d’être mort à plusieurs reprises. Son abdication et sa fuite indigne vers l’Angleterre avaient fait de lui un survivant fantomatique. Auparavant, par son attitude dans l’affaire des mariages espagnols, que Victoria et Albert avaient jugée déloyale, c’est dans leur estime qu’il s’était éteint.
Ils ne peuvent s’empêcher de penser que Louis-Philippe porte une lourde responsabilité dans sa déchéance et les difficultés de son pays. Par sa fourberie et son manque de vertu, le « roi-citoyen » a peut-être gâché une chance unique d’instaurer une monarchie juste et durable. Sa grande faute, à n’en pas douter, est d’avoir fait passer son propre intérêt, et celui de sa famille, avant ceux de sa nation et de son peuple.
Étrangement, c’est un orgueil assez comparable qui semble motiver les actions de Palmerston. On retrouve chez les deux hommes la même obsession d’exercer le pouvoir par l’intrigue et la brusquerie. Le ministre des Affaires étrangères ne manque pas une occasion de se distinguer. À Balmoral, Victoria et Albert apprennent sa dernière frasque en date. Le général autrichien von Haynau, « la Hyène », détesté pour sa répression sanglante des rébellions italienne et hongroise, est venu à Londres. Il est facilement reconnaissable à ses grosses moustaches : au sortir d’une brasserie, il se les est fait tirer par des passants anglais, qui l’ont roué de coups. Palmerston, secrètement ravi, a écrit à l’ambassadeur d’Autriche qu’il regrettait l’incident, mais que Haynau avait « manqué de décence en venant en Angleterre en ce moment ». Lord Russell lui-même, admettant enfin que son ministre passe un peu trop souvent les bornes, l’a sommé de démentir sa note et d’en envoyer une autre dont toute critique serait effacée. Palmerston a menacé de démissionner, puis il s’est soumis.
De sa propre initiative, Russell propose un expédient pour écarter Palmerston du Foreign Office, en le nommant speaker de la Chambre des communes. Surtout pas ! Les Communes sont assez turbulentes sans cela. Palmerston, jouant la carte de l’extrémisme, y est devenu la coqueluche des radicaux.
Le ressentiment de la reine et du prince se transforme en mépris. Albert se moque désormais de celui qu’il surnomme en souriant « Pilgerstein », par une traduction littérale de son nom en allemand.
Balmoral réconforte Victoria et Albert. Ce n’est pas seulement que la fraîcheur brumeuse du climat calme leurs nerfs : l’Écosse est aussi une partie moins moderne et moins surpeuplée du royaume. Loin d’Édimbourg ou de Glasgow, c’est un pays d’une ruralité pastorale séculaire. Dans les Highlands, la survivance de traditions ancestrales s’allie à la beauté enchanteresse de la nature sauvage. Dans cette Écosse-là peut perdurer le rêve d’un monde contemporain où survivrait la mentalité chevaleresque d’un Moyen Âge idéal.
Victoria, accompagnée des garçons et de Vicky, regarde les hommes qui pêchent le saumon dans la Dee. Le prince Albert, en kilt, le demi-frère de la
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