Victoria
mode de la Restauration anglaise de 1660. Victoria commande au peintre français Eugène Lami, dont Louis-Philippe fut naguère le mécène, une toile pour commémorer l’événement.
Elle est richement vêtue d’une robe de soie grise, brodée d’or et d’argent, ornée de grosses émeraudes et de rubans colorés sertis de diamants, décolletée sur un chemisier de drap d’or. Toutefois, les teintes froides de sa toilette paraissent calculées pour mieux mettre en valeur le prince Albert qui, coiffé d’un panache de plumes d’autruche blanches, porte un habit orange vif aux épaulettes roses et des hauts-de-chausses cramoisis sur des bas de couleur lavande.
L’exposition étant aussi l’occasion de soutenir les arts, les époux royaux y acquièrent des sculptures. Albert choisit pour Victoria un groupe du Belge William Geefs, Paul et Virginie . Les amants y sont représentés nus et endormis côte à côte, mais ce sont des enfants prépubères et potelés comme des angelots.
Victoria, elle, ne craint pas d’offrir à Albert un bronze du sculpteur anglais John Bell qui est une représentation très érotique d’Andromède, la meneuse d’hommes. La mince fille de Cassiopée aux longues jambes se tient debout, la tête inclinée, dans une pose langoureuse. Ses bras liés dans le dos exposent des seins et un ventre aux formes parfaitement grecques. La chaîne qui la retient à un très rococo rocher des Néréides trace entre ses cuisses un trajet suggestif.
Victoria achète aussi une statue de Narcisse, de l’Anglais William Theed. L’éphèbe à la chevelure bouclée est debout, pensivement appuyé sur sa lance, une main sur la hanche. Il est entièrement nu. La reine demande tout de même qu’une feuille de vigne vienne opportunément couvrir la partie de son anatomie qui risquerait le plus de choquer ses invités.
Victoria et Albert, amoureux passionnés, ont pour les nus artistiques un goût que trop peu de leurs contemporains partagent. Les jardins et la maison d’Osborne en comptent un grand nombre. Dans l’escalier, une fresque murale, représentant Neptune concédant l’empire des mers à Britannia, entremêle des corps d’hommes et de femmes dans le plus simple appareil. Loin des yeux des visiteurs pudibonds, au-dessus de la baignoire d’Albert, est accrochée une toile d’Anton von Gegenbaur, Hercule et Omphale , d’un érotisme presque aussi intense que celle de François Boucher.
Tandis que l’été se termine, l’exposition tire à sa fin. Albert a toutes les raisons d’être heureux, pourtant il est étrangement angoissé. Il souffre de graves maux d’estomac. Certainement, ce doit être l’effet de la fatigue, le contrecoup de tout ce surmenage.
Au début du mois d’octobre, le couple entreprend en train une tournée dans le Nord. C’est l’occasion de se rendre dans les grands ports et les métropoles industrielles. On s’arrête à Lancaster, pour voir l’ancien château de Jean de Gand. Près de Forfar, un essieu chauffe et le train doit stopper. Avec l’automne, le glorieux « temps de la reine » cède brusquement la place à de fortes pluies. À Kirkliston, une explosion de vapeur dans la locomotive impose un nouvel arrêt. Victoria tient à maintenir le programme.
À Liverpool, les rues sont une mer de boue. Victoria – et sa famille – passe en voiture ouverte, abritée sous des parapluies, ovationnée dans le brouillard par les habitants qui l’ont attendue sans broncher sous une averse incessante. Elle répond au discours de la corporation et du maire, adoube ce dernier. Devant St George Hall, qui se dresse au milieu de la ville comme un immense temple grec, Victoria est debout sous la pluie battante qui lui trempe la tête et alourdit ses vêtements. Elle s’incline longuement pour remercier le public qui la salue, se moquant du déluge avec un flegme égal.
De Manchester, elle remonte le canal de Bridgewater jusqu’aux houillères de Worsley, dans une barge tirée par quatre chevaux, glissant comme en un rêve entre les berges où une foule nombreuse l’acclame toujours en agitant des mouchoirs blancs dans la brume.
À Worsley Hall, Victoria et Albert rencontrent James Nasmyth, l’inventeur du marteau-pilon à vapeur. Il leur montre les cartes et les dessins qu’il a faits pour expliquer la géographie de la Lune. Les conversations scientifiques et techniques sont stimulées par la nouvelle qu’ils apprennent à ce moment-là : le
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