Victoria
longs cheveux noirs, tressés en natte dans le dos. Sa Majesté sourit à ses facéties. Qui est-ce donc ?
Victoria félicite Albert d’avoir accompli cette grande « fête de la paix », unissant les industries et les arts de toutes les nations. C’est véritablement, pour elle, le couronnement des efforts inlassables du prince, et la preuve magistrale de sa fructueuse contribution à la culture britannique.
« Dieu bénisse mon très cher Albert, et mon cher pays qui se montre si grand aujourd’hui ! »
Le prince a donné pour devise à la Grande Exposition le premier vers du psaume 24 dans le Livre de la prière commune , qui reprend une citation de la première épître de Paul aux Corinthiens : « La terre est l’Éternel et tout ce qui est en elle. »
Les grands ormes de Hyde Park effleurent de leurs frondaisons ancestrales l’éphémère voûte de verre. Des statues se dressent dans la foule comme des géants. Palmiers et plantes tropicales avoisinent les arbres indigènes.
Victoria parcourt d’un bout à l’autre l’immensité du bâtiment, dans le tohu-bohu d’une multitude hétéroclite qui l’acclame. Elle entend au passage qu’on lui crie même « Vive la reine ! » en français.
Des écriteaux indiquent le nom des continents et des pays dont les productions sont exposées dans les stands alignés. Des échantillons de denrées agricoles côtoient ceux de produits manufacturés. Voici un moulin à vapeur pour broyer la canne à sucre ; la presse d’Applegarth, capable d’imprimer dix mille pages à l’heure ; et une machine qui peut frapper cinquante millions de médailles par semaine. Voilà le télégraphe de Bakewell ou bien encore un canon en acier des usines Krupp. Pour les rafraîchissements que l’on sert, la maison Schweppes a le monopole de la vente d’eau minérale.
Les créations des ingénieurs, des artistes et des ouvriers, plantes et engins, statues et gadgets, plans d’architectes et tableaux de peintres sont rassemblés dans le grand bazar de cette gigantesque corne d’abondance. Le Koh-i Nor, ou « montagne de lumière », un diamant de plus de cent cinq carats, récemment confisqué par la force des armes au dernier souverain sikh, Dhulîp Singh, est exposé sur un coussin de velours, dans un présentoir qui ressemble à une cage d’oiseau. Les productions de l’homme et celles de la nature, comme les arbres séculaires et l’audacieux palais de verre qui leur fait un si majestueux écrin, paraissent avoir surgi de terre sous la géniale impulsion d’un même esprit créateur.
L’Exposition dure cent quarante jours, ne fermant ses portes que le dimanche. Victoria ne s’en lasse pas. Certaines semaines, elle s’y rend même plusieurs fois : Crystal Palace est une attraction touristique dont le succès ne faiblit pas.
En marge de l’événement, Sa Majesté accorde son soutien à Charles Dickens, pour organiser des pièces de théâtre dont les profits serviront à fonder des bourses pour de jeunes écrivains méritants.
Punch , le journal satirique, a contribué à la réussite de cette entreprise en publiant le projet illustré de Paxton. Il continue d’en commenter les effets avec un humour bienveillant. L’une de ses caricatures montre le navire en déroute du gouvernement Russell, sauvé par le remorqueur à vapeur « Exposition ». L’avenir seul dira si cette grande vitrine publicitaire du libéralisme économique parviendra à remettre le pays sur la voie de la prospérité.
Sans aucun doute, elle concourt à soutenir la confiance renaissante des marchés. Londres est la première place boursière au monde. Si les salaires restent bas, la production de masse, en faisant baisser les coûts des biens de consommation, tend à améliorer diversement les conditions de vie de toutes les classes.
Par ailleurs, on a trouvé de l’or en Australie, en Nouvelle-Galles-du-Sud, dans la région de Bathurst. La ruée vers l’or australienne de 1851, venant consoler la Grande-Bretagne qui n’a pas directement bénéficié de celle de 1848 en Californie, promet de renflouer les stocks de métal précieux.
Les nuits d’été étant propices aux réjouissances insouciantes, au mois de juin la reine donne un bal costumé. Le thème est néanmoins choisi avec plus de circonspection que celui de 1842, qui par son allusion involontaire à la guerre de Cent Ans s’était attiré quelques moqueries. Cette fois-ci, on s’habille à la
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