Victoria
parfaitement passif et de n’exprimer aucune opinion ».
Victoria obtient enfin de Russell qu’il renvoie son ministre des Affaires étrangères. Elle exulte :
« Lord Palmerston n’est plus au Foreign Office et Lord Granville est déjà nommé à sa place !
— Certes, dit Albert, mais on dit que les fils d’Angleterre ont une pénible qualité : ils ne savent jamais admettre qu’ils sont battus. »
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« La Reine Victoria au Roi des Belges, Buckingham Palace, 3 février 1852, Mon Très Cher Oncle… »
Dans deux heures à peine, après s’être dirigée en procession vers Westminster, Victoria y prononcera le discours d’ouverture de la nouvelle session parlementaire. Dans la lettre qu’elle écrit à son oncle Léopold, elle lui fait part des vives inquiétudes que lui inspire le coup d’État du prince Louis-Napoléon Bonaparte : « Avec un homme aussi extraordinaire que Louis-Napoléon, on ne peut jamais être en sécurité un seul instant. Cela me rend très mélancolique. »
Tout semble indiquer qu’il marche à grands pas sur les traces de son oncle Napoléon I er . Des informateurs rapportent qu’il se prépare vraisemblablement à envahir la Belgique. Le spectre de la guerre en Europe revient hanter les esprits.
« Tout attentat contre la Belgique serait pour nous un casus belli : cela, vous pouvez y compter. »
En Grande-Bretagne, le souvenir des vingt-deux années de guerre contre la France et du Blocus continental infligé par Napoléon est encore bien présent. On suspecte Louis-Napoléon de préméditer un débarquement sur les côtes anglaises. Le Premier ministre, Lord Russell, veut faire voter une loi pour réactiver la Milice. Depuis des temps immémoriaux, chaque fois que le territoire national paraît menacé, les citoyens britanniques s’enrôlent pour constituer des régiments de volontaires.
« Je ne crains pas une invasion, mais dans le pays l’esprit du peuple est très remonté : les gens ne parlent que de se défendre et l’esprit des anciens temps n’est nullement éteint. »
Le prince Albert redouble d’activité. Chaque jour, dès avant l’aube, il étudie à fond tous les dossiers, échafaude des plans, tentant d’envisager tous les cas de figure possibles.
« Nous autres femmes ne sommes pas faites pour gouverner et si nous sommes de bonnes femmes, nous nous devons de ne pas aimer ces occupations masculines. Pourtant, il est des époques qui nous forcent à nous y intéresser bon gré mal gré et c’est ce que je fais, bien sûr, intensément.
« Je dois maintenant conclure et m’habiller pour l’ouverture du Parlement.
« Votre nièce toujours dévouée, Victoria R. »
Dès les premières séances parlementaires, le gouvernement libéral de Lord Russell est tombé, sur les questions de la loi anticatholique sur les titres ecclésiastiques et de la Milice. L’enrôlement des volontaires serait un signe de méfiance et d’hostilité. Depuis Waterloo, le duc de Wellington n’a cessé de le répéter : « Il faut ménager la France. » Palmerston, en francophile avisé, partage évidemment cet avis : « Restons en bons termes avec la France. »
Lord Derby a formé un cabinet tory. La scission du parti conservateur après la défection des « peelites » l’a contraint de nommer de nombreuses nouvelles têtes. « Qui ? Qui ? » a demandé le duc de Wellington à l’énoncé de presque tous les noms, quand on lui a lu la liste des ministres. Les journaux s’emparent de l’anecdote et parlent désormais du « ministère des Qui-Qui ». Derby fait en réalité tout le travail. À ceux qui s’inquiètent de savoir si la charge n’est pas trop lourde, il répond : « Je me porte bien et mes bébés aussi. »
Parmi ces débutants, le nouveau chancelier de l’Échiquier, Benjamin Disraeli, chevaleresque inspirateur de la mouvance Jeune Angleterre, entreprend de faire sa cour à Victoria. Il lui adresse chaque soir des comptes rendus de la séance parlementaire, rédigés dans la brillante prose poétique qui le caractérise.
« Mr Disraeli (alias Dizzy) m’écrit de très curieux rapports sur les débats de la Chambre des communes, tout à fait dans le style de ses livres. »
Le temps passe et les craintes suscitées par le coup d’État en France ne s’avèrent apparemment pas fondées. La guerre renaît bien de ses cendres, mais en de lointaines contrées.
En avril éclate le second conflit
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