Victoria
premier câble télégraphique sous-marin vient d’être posé avec succès entre Douvres et Calais.
Ils rentrent à Londres pour une dernière visite à la Grande Exposition avant sa clôture. Les orgues jouent, accompagnées par le son puissant d’un sommerophone. Cet euphonium, ou tuba ténor, est l’invention d’un certain Sommer, facteur de cuivres à Weimar. Les fontaines de cristal ont déjà été enlevées. Les tentures vermillon sont un peu passées. Des ouvriers s’affairent au déménagement.
« Cela nous a tous rendus très mélancoliques. » Victoria écrit une lettre à son Premier ministre pour lui dire tout son enthousiasme. Cet immense succès, elle s’en félicite, immortalisera le nom de son mari bien-aimé.
« La reine, écrit-elle à Russell, remercie la Providence qui lui a permis d’être unie à un si grand, si noble et si excellent prince, et cette année restera toujours la plus heureuse de sa vie, celle dont elle sera toujours le plus fière. Le jour de la fermeture de l’Exposition (à laquelle la reine regrette beaucoup de n’avoir pas pu assister) était le douzième anniversaire de ses fiançailles avec le prince, ce qui est une curieuse coïncidence. »
Au cours des six mois qu’elle a duré, la Grande Exposition a été visitée par plus de 6 millions de personnes, sans aucun accident. Elle a dégagé près de 200 000 livres sterling de bénéfices, dont une partie sera consacrée à l’achat de terrains à South Kensington pour la création d’un centre culturel éducatif et scientifique, que l’on surnomme déjà « Albertopolis ». Cet argent permettra aussi au prince Albert de contribuer au financement de maisons ouvrières, conçues par l’architecte Henry Roberts. On espère que ces « maisons Albert » remplaceront progressivement les taudis.
Ce projet vient seconder la loi Shaftesbury pour la démolition des bas quartiers insalubres, l’assainissement, l’adduction d’eau et l’installation d’éclairages publics. Dans le même esprit, des industriels philanthropes construisent pour la classe laborieuse des logements selon des plans d’urbanisme moderne, avec bains publics, parcs, écoles et églises. Ainsi, Titus Salt, magnat de l’industrie lainière, crée le village modèle de Saltaire, dans le Yorkshire.
La compagnie ferroviaire London Brighton & South Coast Railway achète la structure de Paxton pour 70 000 livres et la déplace à Sydenham, dans le Kent, où elle servira de centre de concert et d’exposition.
Évidemment, l’événement londonien de cet été 1851 n’a fait qu’éclipser un temps la marche politique du monde. En Afrique, la guerre des Caffres fait rage, et les troupes britanniques soutiennent les colons du Cap contre les tribus indigènes. La troisième expédition de l’explorateur Livingstone, dans le Kalahari, a mis en évidence la réalité de la traite des esclaves. N’épargnant aucun effort pour la limiter, Lord Palmerston, ministre des Affaires étrangères, signe des traités avec des rois africains.
La position de Palmerston au Foreign Office est de plus en plus précaire. Sa diplomatie à l’emporte-pièce et son tempérament intransigeant procurent des armes à ses adversaires. En octobre, il a voulu recevoir chez lui le patriote hongrois Kossuth, lors de sa venue en Angleterre. Russell a exercé son veto ; Palmerston ne s’est soumis que de mauvaise grâce. Quelques semaines plus tard, une délégation de radicaux lui présente une adresse où les empereurs d’Autriche et de Russie sont stigmatisés comme des « assassins odieux et haïssables », des « despotes et tyrans sans pitié ». Palmerston condamne les termes, mais donne son accord sur le fond. Scandale ! Victoria exige du chef de son gouvernement qu’il fasse preuve d’autorité. C’est une fois encore peine perdue : le vieux Pam a le soutien de l’opinion publique.
En France, le 2 décembre 1851, le prince-président met fin par la force au conflit qui l’opposait à l’Assemblée nationale. Le comte Walewski, fils de Napoléon I er et de la comtesse Walewska, est l’ambassadeur de France à Londres. Au cours d’un entretien privé, Palmerston lui dit que, personnellement, il approuve le coup d’État du prince Napoléon. Walewski en rend compte à Paris, pour le plus grand embarras de l’ambassadeur de Grande-Bretagne, Lord Normanby, à qui la reine et son Premier ministre ont écrit de « rester
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