Victoria
anglo-birman, qui se solde par l’annexion de la Basse-Birmanie. À l’est des Indes britanniques, sur la route de Singapour et de l’Indonésie, la Birmanie est dans une situation lointainement comparable à celles du Penjab et de l’Afghanistan à l’ouest.
Aux antipodes, dans l’hémisphère sud, de l’autre côté de l’Australie, la colonie de Nouvelle-Zélande, aux ressources essentiellement marines, se voit dotée d’un parlement et d’une constitution.
Au Royaume-Uni, Lord Eglinton devient lord-lieutenant d’Irlande. Ce tory à l’ancienne est demeuré célèbre pour le fameux tournoi à la mode médiévale de 1839, où le prince Louis-Napoléon s’est distingué. Sans doute la nomination d’un tel vice-roi est-elle un signe des temps.
La divine Providence elle-même semble favoriser l’histoire d’amour courtois que Victoria et Albert vivent avec l’Écosse, sur le mode de la rêverie moyenâgeuse. Un certain James Camden Nield s’éteint à Chelsea, léguant à la reine sa fortune de deux cent cinquante mille livres sterling. Pour le couple royal, c’est une occasion inespérée d’améliorer Osborne et d’élargir leur patrimoine. Albert importe un authentique chalet suisse, en pièces détachées, et tout un ameublement à échelle réduite, qui servira de maison éducative pour les enfants. Surtout, dès le mois de juin, Victoria et Albert se portent immédiatement acquéreurs de la propriété de Balmoral en Écosse, dans le comté d’Aberdeen, sur les bords de la Dee. Albert voudrait étendre ses possessions, à l’est, aux domaines adjacents d’Abergeldie et de Birkhall et, à l’ouest, en achetant la forêt de Ballochbuie.
Un droit de passage traverse les terres de Balmoral. On étudie la possibilité de détourner la grand-route en construisant un pont métallique sur la Dee. Le vieux manoir sera démoli après la construction du nouveau château de Balmoral, dont le prince a déjà esquissé les plans. Il commande une maquette en sable du domaine. Quatre cents hectares de marais seront asséchés. Des cottages seront bâtis pour les gens de leur maison. La ferme sera rénovée et augmentée d’une laiterie ultramoderne.
« Nis ! Nis ! Nis ! Hurrah ! »
Les Highlanders en tartan acclament Victoria et Albert dans leur langue, au bal en plein air de Corriemulzie, non loin de Braemar. La reine se tient sur un haut-pas surmonté d’un dais, en robe de soie grise et bonnet de dentelle blanche ; le prince porte le kilt et le plaid du costume traditionnel. Les Highlanders dansent le branle au son des cornemuses, en brandissant des flambeaux. À la lueur des torches, la fête nocturne est une féerie.
Les jours suivants, les époux royaux et leurs enfants reprennent leurs habituelles excursions d’automne. Ils vont passer quelques jours dans leur shiel d’Alt-na-Giuthasach, modeste cottage isolé au milieu de la nature sauvage, entouré de mélèzes, qu’ils appellent « la cabane ». Albert chasse. Victoria et Vicky dessinent. Les enfants jouent et font du poney.
Partis en randonnée, ils se sont assis côte à côte au bord d’un loch. À perte de vue, le paysage alentour, avec ses collines de lande brune et les clairs sommets de roches nues en arrière-plan, qui se détachent sur le ciel bleu et blanc, se reflète à l’identique dans le miroir des eaux immobiles.
Là-bas, un Highlander arrive au pas de course par le sentier. Il apporte à Victoria un courrier du Premier ministre, Lord Derby, qui a suivi la reine en Écosse.
Le duc de Wellington est mort.
Ce n’est pas possible ! Refusant d’y croire, oppressés par une indicible mélancolie, ils se hâtent de rentrer. À Balmoral, une lettre de Lord Charles, fils de Lord Arthur Wellesley, duc de Wellington, confirme l’impensable nouvelle du décès de son père.
« Pour le pays et pour nous, écrit Victoria à Léopold, sa perte, que l’on savait pourtant prochaine, est irréparable ! Il était la fierté et le bon génie , pour ainsi dire, de ce pays ! » La figure tutélaire du grand homme, imperturbablement modeste, paraît intemporelle. On croit le voir encore circuler à cheval dans Londres, en pantalon blanc et redingote cintrée, son bâton de maréchal sous le bras. Sa silhouette mince au profil aquilin demeure l’image même de l’immortalité.
Protecteur et conseiller dévoué de la Couronne, commandant en chef de ses armées, le grand soldat personnifiait le destin du pays.
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