Victoria
s’érige en système. La jalousie possessive que Conroy inspire à Mme de Kent tourne à l’obsession. L’intendant cajole la mère pour enjôler la fille. Si la première ne le sait pas, la seconde le voit et ne l’accepte pas. Comprenant bien que sa mère est tombée tout à fait sous la coupe de cet homme qu’elle méprise, Victoria trouve en sa gouvernante une confidente et une alliée. Louise Lehzen s’efforce de contrer l’influence de Conroy en jouant de son amitié avec la baronne de Späth, dame de compagnie de la duchesse.
Conroy, ayant avec ces trois Allemandes affaire à forte partie, s’est insinué dans les bonnes grâces de la princesse Sophia, la plus jeune des tantes de Victoria. Intendant manipulateur, il la tient dans le creux de sa main, et détourne ses biens à son propre profit. Sophia, qui réside dans un autre appartement du même palais de Kensington, a aussi ses entrées à la cour où elle sert d’espionne à l’intendant. Ces deux-là entretiennent une correspondance grossièrement codée et moins secrète qu’ils ne croient. En ville, le bruit court que Conroy est l’amant de Mme de Kent. Il n’est pas jusqu’au duc de Wellington qui, quand on lui demande s’il pense que c’est vrai, ne réponde « je suppose ».
De fait, Victoria a surpris ce qu’elle appelle des « familiarités » entre sa mère et l’intendant. Choquée, craignant peut-être quelques représailles de l’Irlandais démasqué, elle s’en est ouverte à Miss Lehzen. La gouvernante en a parlé à son tour à la baronne de Späth, qui en a imprudemment fait le reproche à la duchesse de Kent. Il n’en fallait pas davantage pour permettre à Conroy de convaincre Victoire, effarouchée à l’idée d’un scandale, de chasser cette dame de compagnie trop impudente. Exit , donc, Mme de Späth, qui est contrainte de retourner définitivement en Allemagne, où elle trouvera refuge auprès de Feodora.
Désirant pousser son avantage, John Conroy veut par la même occasion faire congédier Louise Lehzen. S’il y parvenait, son « système de Kensington » approcherait de la perfection : Victoria, privée de sa dernière amie, tomberait enfin tout à fait sous sa domination.
La princesse Sophia l’avertit que c’est absolument impossible. Miss Lehzen bénéficie d’un important soutien à la cour. George IV l’a récemment faite baronne de Hanovre. Duplicité salutaire, peut-être, de la princesse Sophia ? La famille royale n’ignore rien des menées de l’intrigant, et voit dans la baronne Lehzen un moyen de contrebalancer le pouvoir qu’il exerce sur la duchesse de Kent. En particulier, Adélaïde de Clarence, épouse du duc William et à ce titre future reine d’Angleterre, ne cache pas son affection pour Victoria.
Son oncle Léopold, gendre du souverain par son mariage avec la princesse Charlotte défunte, manœuvre également dans l’ombre pour lui servir de mentor le moment venu. Se contentant, pour l’heure, de conforter affectueusement sa nièce, il lui fait parvenir une lettre en ce sens : « Ma très chère petite enfant, lui écrit-il, j’ai beaucoup voyagé de par le monde, et je serais en mesure de vous donner de curieuses informations sur divers sujets. »
La partie est aussi rendue délicate par le fait que Conroy incite la duchesse de Kent à organiser de brillants dîners mondains. Princes et ambassadeurs sont invités avec leurs épouses au palais de Kensington. La princesse leur est présentée tout à son avantage, l’éducation qu’elle reçoit paraissant ainsi sous un jour des plus favorables.
Dans de telles circonstances, toute tentative de mise en garde semble vouée à l’échec. La moindre intervention risque d’aggraver l’aveuglement de Mme de Kent et peut être utilisée pour accentuer son sentiment de méfiance à l’égard de sa belle-famille. En janvier 1830, Adélaïde de Clarence, une femme pleine de bonté mais dont la spontanéité émousse quelque peu le sens politique, lui écrit pour lui faire part du « souhait général » qu’elle « ne laisse pas Conroy prendre trop d’influence sur elle, mais qu’elle le tienne à sa place ».
« Il n’a pas d’expérience des cercles de la cour ou de la bonne société, et de ce fait contrevient aux manières traditionnelles. Il ne faut donc pas lui laisser interdire à quiconque de vous approcher, sauf aux membres de sa propre famille, qui en tout état de cause ne sont pas
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