Victoria
sérieuse. Elle est astreinte à un emploi du temps très régulier, six jours par semaine. Le matin, de 9 h 30 à 11 h 30, elle étudie l’histoire et la géographie avec Mr Davys, les mathématiques avec Mr Steward, et le dessin avec Mr Westhall, de la Royal Academy. Cela ne vaut pas pour le jeudi, où elle prend des cours de danse avec Mlle Bourdin. Le vendredi est le jour de sa leçon de musique et de chant avec Mr Sale, organiste de Westminster.
Puis vient une récréation avant le lunch de 13 heures. De 15 h à 17 heures elle fait de l’anglais, du français et de l’allemand, sauf le mercredi qui est consacré à l’instruction religieuse avec le révérend Davys. Le samedi matin est réservé aux révisions des leçons de la semaine, et l’après-midi à la rédaction de lettres avec Mr Steward, entre un nouveau cours de français avec M. Grandineau et un autre d’allemand avec le révérend Barez, un pasteur luthérien.
Pendant qu’on l’habille et qu’on la coiffe, Miss Lehzen lui fait la lecture à haute voix de divers ouvrages. Naturellement, les romans lui sont formellement interdits. Élève généralement docile, Victoria se montre néanmoins par trop distraite. Le latin, décidément, ne lui vaut rien. Par contre, elle a un talent particulier pour l’arithmétique. Elle aime le dessin, qu’elle pratique avec un certain succès. Elle lit et récite des poèmes avec bonheur. La musique aussi lui plaît beaucoup, et elle chante fort juste, avec une belle voix claire de soprano.
Patiente et dure à la tâche, Victoria n’en demeure pas moins une princesse au caractère impulsivement autoritaire. Elle a une finesse d’oreille innée pour les nuances de ton et les sous-entendus des propos les plus ordinaires en apparence.
« Il n’y a pas de voie royale vers la musique, lui dit le maestro : vous devez faire vos gammes comme tout le monde. »
Voilà bien des mots fort mal choisis, qui lui font monter aux joues le rouge de l’indignation. Elle cambre le dos, lève le menton, claque d’un coup sec le couvercle du piano et, tournant imperceptiblement la tête : « Là ! dit-elle. Il n’y a pas de vous devez . »
En mai 1829, quelques jours après son dixième anniversaire, Victoria reçoit une invitation à la cour. Impossible de refuser : à l’occasion de la venue de la très jeune reine Marie II du Portugal, le roi donne un bal d’enfants. Née quelques semaines avant Victoria, Marie est montée sur le trône à l’âge de 7 ans, pour en être bientôt chassée par son oncle, l’infant Michel, à qui elle a été mariée au moment de son accession. Reine-enfant d’un royaume du Portugal au bord de la guerre civile, elle voyage d’une cour d’Europe à l’autre, avant de rejoindre aux Amériques son père l’empereur Pierre I er du Brésil.
Pour Victoria, c’est tout à la fois son premier bal et sa première apparition à la cour dans une cérémonie officielle. Le spectacle ravissant des deux enfants royales fait quelque sensation. Comme le dit l’espiègle Lady Conyngham, avec une naïveté feinte qui a le don d’exaspérer le roi George, il est « si charmant de voir les deux petites reines danser ensemble ».
Hélas, Victoria n’est pas à son avantage. À côté de la reine Marie, elle paraît petite et ronde. Il n’y a guère que ses grands yeux bleus qui ne soient pas éclipsés. Charles Greville, greffier du Conseil privé de Sa Majesté, et à ce titre chroniqueur privilégié de son temps, décrit la rencontre dans son journal intime. « Toutefois, ajoute-t-il, si la nature n’a pas fait grand-chose pour elle, il se pourrait que la Fortune en fasse beaucoup plus. »
Tandis que tous admirent les deux enfants qui dansent ensemble le quadrille, la reine du Portugal trébuche et tombe sur le nez. Légèrement contusionnée au visage et dans son amour-propre, elle quitte la salle en courant, en laissant finalement la vedette à « notre petite Victoria ».
À mesure que la santé du roi George IV décline visiblement, l’attention que la cour et la nation portent à la princesse Victoria s’accroît. Sa Majesté perd la vue, puis l’usage de ses jambes. Peut-être souffre-t-il de porphyrie, comme son père George III. Le laudanum, qui lui est prescrit comme calmant, et l’arsenic, que contiennent certains médicaments, n’ont pas que des effets heureux.
À Kensington, la discipline à laquelle est soumise Victoria
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