Victoria
d’un rang si élevé qu’ils puissent être le seul entourage et les seuls compagnons de la future reine d’Angleterre. »
Pour candide qu’ait pu être l’intention d’un tel propos, celui-ci ne pouvait manquer d’exaspérer le sentiment d’infériorité craintive de Victoire de Leiningen, princesse douairière d’une minuscule principauté bavaroise. La duchesse en conçoit une méfiance hostile et persistante à l’égard du futur couple royal.
Sans doute Mme de Kent prend-elle ces remarques en si mauvaise part parce que, par-devers elle, elle ne peut faire autrement que d’en admettre le bien-fondé. Car Conroy est assez loin de pouvoir lui imposer sa volonté sans coup férir. Veut-il tout savoir jusqu’au moindre détail ? Encore faut-il qu’il la contraigne à tout lui dire. Jamais la duchesse ne se rend à ses arguments qu’après de longues discussions et de nombreuses disputes.
Tant et si bien que son fils, le prince Charles de Leiningen, finit par prendre ombrage de la tyrannie que l’Irlandais inflige à sa mère et à la petite princesse, dont il incline à prendre la défense. C’est à Charles que Victoria se plaint, avec la plus grande véhémence, des « affronts personnels » que ce butor lui a fait subir.
Charles de Leiningen, qui fait son droit à l’université de Gottingue, ne vient en Angleterre que pendant les vacances. En 1829, il épouse la comtesse Maria Klebelsberg, et sa présence se fait bien rare.
Victoire n’a pas la tâche facile. Elle n’est pas entièrement dupe des manigances de l’ambitieux Conroy. Lorsqu’elle s’efforçait autrefois d’exercer la régence d’Amorbach pour son fils Charles, elle avait eu à lutter pour résister à l’influence des conseillers de son premier mari défunt. Son mariage avec Edward de Kent, auquel elle avait longtemps hésité à se résoudre pour cette raison même, avait fini par l’éloigner définitivement du pouvoir. Depuis 1820, Amorbach est absorbé par le grand-duché de Hesse. Victoire, mère d’une héritière du trône, dans un pays dont il lui restait tout à apprendre, à commencer par la langue, n’a pas su se passer de cet ancien écuyer avide et retors.
Tout lui laisse imaginer que Victoria pourrait être appelée à régner avant d’avoir atteint sa majorité. Mme de Kent appréhende cette éventualité autant qu’elle la désire. C’est à elle, assurément, que reviendrait la régence. Il lui faudrait alors un conseiller ; Léopold ne se ferait certainement pas prier, mais Conroy aurait l’avantage d’être un homme à elle. N’est-il pas, après tout, son employé ? Quoi qu’il en soit, Victoria n’est qu’une enfant, inapte à exercer seule le pouvoir.
Elle croit donc devoir agir, se prémunir contre toute éventualité. Elle veut établir sans conteste qu’elle a su prodiguer à sa fille une éducation digne d’une souveraine. Ses propres compétences seront par là même démontrées. Enfin, elle a besoin de garants, qui lui serviront à s’affirmer dans les difficultés qu’elle anticipe. Forte de ces réflexions mûries de longue date, elle décide qu’il est temps de mettre en œuvre sa stratégie.
Peu avant le onzième anniversaire de Victoria, elle écrit une lettre circonstanciée aux évêques de Londres et de Lincoln, leur demandant de venir évaluer la formation de la princesse par un examen privé. « Les choix effectués jusqu’ici ont-ils été les plus judicieux ? Dans le cas contraire, en quoi peuvent-ils être corrigés ? » Elle explique les principes qu’elle a mis en œuvre, et dit entreprendre cette démarche parce que ses sentiments envers la princesse l’empêchent peut-être d’être un juge impartial.
Au mois de mars 1830, les deux évêques viennent à Kensington interroger Victoria dans les diverses disciplines qui lui sont enseignées. Quelques jours plus tard, ils rendent leur verdict par écrit : ils sont, déclarent-ils, « complètement satisfaits ».
« Dans ses réponses à une grande variété de questions qui lui ont été proposées, la princesse a montré une connaissance précise des éléments essentiels des saintes Écritures, de l’Histoire et des préceptes et vérités essentiels de la religion chrétienne telle que l’enseigne l’Église d’Angleterre, de même qu’une familiarité avec la chronologie et les principaux faits de l’Histoire anglaise, remarquable chez une aussi jeune personne. Aux
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