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Victoria

Victoria

Titel: Victoria Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joanny Moulin
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le courage héroïque de vos soldats, mais en même temps j’ai trouvé la conviction largement répandue que l’importance de l’Angleterre est surestimée en tant que puissance militaire à proprement parler ; que c’est une puissance d’administration autant que de combat et que, par-dessus tout, il lui est impossible (chose que l’on n’avait jamais crue jusqu’ici) de lever de grandes armées, même dans les circonstances les plus pressantes. Je n’ai jamais rien entendu de tel depuis mon enfance. Vous êtes tenus pour être entièrement dépendants de nous, et en dépit de la grande intimité qui subsiste entre les deux pays, je vois se lever des idées qui, le jour où nos deux gouvernements cesseront de s’entendre, précipiteront notre pays dans la guerre contre vous beaucoup plus facilement que cela n’a été possible depuis la chute du Premier Empire. »
    En ce printemps 1856, il n’est nul besoin d’attendre la parution de l’ouvrage dans lequel ces conversations sont publiées pour flairer assez fortement que ces idées sont dans l’air du temps. Sans doute à cause de telles intuitions, Victoria, à l’unisson du pays, est plus que jamais saisie d’une véritable passion. Tandis qu’en avril paraît l’annonce officielle des fiançailles de la princesse royale, et que dans les premiers jours de mai elle fait son bal de débutante, la reine pose la première pierre du nouvel hôpital militaire de Netley. Puis, au cours de l’été, comme les régiments reviennent de Crimée, elle les passe fièrement en revue.
    Sous un soleil de plomb que désormais l’on appelle « le temps de la reine », stoïquement corsetée, montée en amazone sur son cheval Alma, la voici à Aldershot, ce 8 juillet 1856. Elle regarde défiler par milliers ses héros, ses lions barbus au visage rougi, aussi durs que leurs armes, sac au dos, leurs uniformes ternis, leurs bonnets en poil d’ours encore souillés par la terre, le sang et le feu de Crimée. Elle a tenu à s’en faire « une idée réelle » : elle les trouve « d’une beauté frappante ». Elle leur crie son admiration, par des harangues qu’elle rédige elle-même et apprend par cœur, de sa voix aiguë et perçante comme une lame d’argent.
    « Soldats ! Vous êtes la plus grande force de Britanniques jamais rassemblée en Angleterre depuis la bataille de Worcester ! »
    Sans cesse, de nouveaux corps d’armée reviennent. La voici encore, en robe noire et coiffe de dentelle blanche, au balcon de Buckingham Palace, qui reçoit les régiments de la garde. La puissance qui se dégage de cette masse compacte de braves impeccablement alignés, l’arme au pied, regards cachés sous les hauts bonnets noirs et la visière des casques à crinière, larges mentonnières tressées d’or sous les moustaches, cuirasses scintillantes des dragons juchés sur leurs destriers immobiles, monte inexorablement vers elle. Dans le lourd silence qui pèse sur l’esplanade plane cette petite voix de femme qui pénètre les cœurs de sa vibrante douceur.
    « Dites aux autres de ma part que j’ai observé dans l’angoisse les difficultés et les épreuves qu’ils ont si noblement endurées, que j’ai pleuré dans la plus grande peine pour les braves qui sont tombés. »
    Une mâle clameur explose par trois fois dans une envolée de couvre-chefs : «  God save the Queen !  »
     
    La reine donne audience au maréchal Hardinge, commandant en chef des armées britanniques. Il est le successeur à ce poste du duc de Wellington, avec qui il combattit autrefois dans les guerres péninsulaires. Le vicomte est un homme de 71 ans, au visage glabre, dont les traits fins expriment une force de caractère hors du commun. Victoria le reçoit debout, comme l’exige la gravité de la circonstance : il est venu lui rendre compte des conclusions de la commission qui a enquêté sur les manquements de l’armée pendant la campagne de Crimée. Il s’exprime de façon très formelle, son bâton de maréchal sous le bras, le torse couvert de décorations militaires. Tout à coup, il s’effondre sur la table. Albert se précipite, l’aide à s’asseoir sur un divan. Après avoir présenté ses excuses pour cette inconvenance, Hardinge reprend sa dernière phrase, là où il a été interrompu en dépit de sa volonté. Mais son flegme ne parvient pas à masquer la gravité de l’attaque : son élocution est déformée, il est paralysé de tout le

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