Victoria
la guerre a été condamnée par le gouvernement de Votre Majesté, serait dégradante pour l’Angleterre et prouverait que la reine est indifférente à l’immoralité politique.
— Savez-vous que c’est une excellente chose, et que j’ai bien plaisir à l’entendre. Je suis très soulagé que vous me l’ayez dite. »
Il reste que les sympathies politiques de Frédéric, futur empereur d’Allemagne, sont à l’opposé de celles de son oncle Frédéric-Guillaume IV de Prusse. Choqué par les opinions de Bismarck, c’est vers le prince Albert qu’il se tourne, pour lui demander conseil sur la meilleure conduite à suivre. Albert est à Fritz ce que Stockmar fut à Albert. D’un autre côté, il joue un rôle similaire pour Vicky, entraînant assidûment la princesse royale à tenir son rang de future Kronprinzessin et impératrice d’Allemagne. Tous les soirs, de 6 à 7 heures, il lui fait la leçon pour affiner sa culture générale. Le reste du temps, il lui donne des sujets de dissertation qu’il lit et corrige ensuite, principalement sur des questions d’histoire antique et moderne.
Victoria la prépare plutôt à sa confirmation, dont la date est avancée. Cette tâche lui est d’autant plus ardue qu’elle a l’impression de ne faire qu’une seule personne avec cette fille aînée qui porte le même nom qu’elle. Bien que la jeune Victoria soit un peu plus grande que sa mère, les deux femmes se ressemblent beaucoup, tant par le physique que par le caractère. Intelligente et travailleuse, Vicky est d’un tempérament révolté. Docile la plupart du temps, elle explose fréquemment en violents accès de colère.
« J’éprouve tout ce qu’elle ressent, écrit Victoria à la princesse Augusta de Prusse, la mère de Fritz. Et comme je me sens moi-même encore si jeune, notre relation est plutôt comme celle de deux sœurs. »
Le 30 mai 1856, dix jours après la confirmation de Vicky, les canons de la tour tonnent pour annoncer la ratification du traité de Paris, qui marque la fin de la guerre de Crimée. Les hérauts qui lisent la proclamation en divers lieux de Londres sont sifflés par le peuple mécontent. L’armée a très chèrement payé une gloire incertaine et les classes dirigeantes n’ont guère brillé par leur vertu. Le Royaume-Uni a certes obtenu le maintien de l’intégrité de la Turquie, la neutralité de la mer Noire et la fermeture des Détroits. Les principautés roumaines sont désormais autonomes et les chrétiens d’Orient placés sous tutelle européenne. Toutefois, la Turquie, en faveur de qui cette guerre fut déclarée, n’a pas participé aux négociations de paix, alors que la Prusse, restée à l’écart des hostilités pour ménager la Russie, a pu y défendre ses intérêts. L’Autriche, tout en ayant habilement préservé sa neutralité de fait, a gagné la liberté de navigation sur le Danube. La France a lavé, par sa prépondérance militaire recouvrée, les humiliations de 1815. Enfin, dans le jeu des quatre grandes puissances, un nouveau clivage est apparu, entre l’Angleterre plus étroitement alliée à la France d’une part, la Prusse et l’Autriche de l’autre. Dans les annexes ironiques de la petite histoire, Palmerston, en décevant les nationalistes les plus fervents qui l’avaient porté au pouvoir, a reçu l’ordre de la Jarretière des mains de la reine pour sa bonne gestion du conflit.
L’année précédente déjà, l’économiste anglais Nassau William sénior était bien en peine de contredire Alexis de Tocqueville, lorsque, au cours d’une conversation privée à l’hôtel Bedford de Paris, le 2 mars 1855, celui-ci lui tint le propos suivant : « Il y a un an de cela, nous surestimions probablement votre puissance militaire. Je crois que maintenant nous la sous-estimons avec beaucoup de malice. Il y a un an de cela, rien ne nous alarmait davantage que la possibilité murmurée d’une guerre avec l’Angleterre. Nous en parlons maintenant avec beaucoup de calme. Nous pensons qu’il ne serait pas difficile de débarquer cent mille hommes sur vos côtes, et nous pensons que la moitié de ce nombre nous suffirait pour envahir l’Angleterre ou l’Irlande. Vous vous trompez si vous croyez que de telles opinions disparaîtront toutes seules, ou qu’elles seront éradiquées par quoi que ce soit d’autre qu’un succès militaire décisif.
« J’ai entendu partout, poursuit Tocqueville, vanter sans réserve
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