Victoria
D’ailleurs, ne passe-t-il pas tout son temps avec elle, comme si rien ni personne d’autre n’importait davantage pour lui ? En voilà assez ! Que Vicky prenne désormais ses repas seule !
« Fort bien, dit simplement Albert, je vais me tenir éloigné de toi jusqu’à ce que tu sois revenue à de meilleurs sentiments. »
Il se réfugie dans sa chambre, n’écoutant plus son épouse qui le poursuit de ses imprécations. Une porte claque. Il laisse passer les heures en silence, tentant de se concentrer sur un livre. Un page apporte une lettre de la reine, qu’il pose sur sa table de travail pour la lire calmement. Il se contraint à ne pas répondre tout de suite, retourne dans son fauteuil et reprend sa lecture pour quelques heures. Enfin, quand il constate qu’il a pu recommencer de penser à autre chose, il décide de prendre la plume.
« Chère enfant, j’ai lu ta lettre et j’y réponds parce que tu m’as demandé de le faire, mais je ne sais vraiment pas quoi dire… »
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À l’ouverture de la session parlementaire de 1857, la Grande-Bretagne est préoccupée à plusieurs titres par la Chine. Quelques mois auparavant, les autorités chinoises ont arraisonné la jonque Arrow qui faisait de la contrebande d’opium sous pavillon britannique. L’incident intervient dans un contexte de tensions constamment aggravées. Les Chinois, entraînés dans la guerre civile par la révolte des Taiping, sont de plus en plus réticents à appliquer le traité de Nankin, qui a mis fin à la première guerre de l’opium en 1842. Le consul britannique, au fallacieux prétexte d’une insulte au drapeau, a fait bombarder la ville de Canton, de concert avec les navires américains présents sur le site. Si l’ordre d’ouvrir le feu a été donné sans l’accord explicite de Londres, l’Angleterre et les puissances occidentales, qui ont besoin de renflouer leurs finances après la guerre de Crimée, tiennent à maintenir leur libre accès commercial dans les ports chinois. Palmerston cautionne donc l’agression. Ses adversaires politiques, Gladstone et les libéraux, Cobden et les radicaux, déposent une motion de censure. Le gouvernement tombe. Palmerston, contraint de se soumettre à des élections générales, est triomphalement réélu. La Grande-Bretagne s’engage, suivie par la France, dans une seconde guerre de l’opium contre la Chine.
Si Palmerston est ainsi plébiscité, c’est parce qu’il est malgré tout considéré comme le plus à même de diriger le pays en état de guerre. L’heure est grave, car ce nouveau foyer de conflit survient alors qu’une autre campagne est en cours au Proche-Orient : en octobre 1856, les Perses sont entrés en Afghanistan et ont pris la ville de Hérat. Vu de Londres, il ne fait guère de doute qu’ils aient été encouragés par la Russie, qui à l’évidence continue de rechercher des débouchés vers le sud par des moyens détournés. La prise de Hérat met en cause l’équilibre établi par la guerre anglo-afghane de 1842, à l’issue de laquelle l’Angleterre s’était assurée que l’Afghanistan demeure un état tampon, barrant la route des Russes vers l’Inde et la mer d’Oman. Le souvenir des sanglantes batailles de 1842 a fait que les Britanniques ont été lents à intervenir et ont hésité à lancer une nouvelle offensive sur le territoire afghan en direction de Hérat. Ils ont donc choisi d’attaquer la Perse. En décembre 1856 et janvier 1857, deux compagnies de cipayes, des soldats indiens venus de Bombay, ont investi l’île de Khark et le port de Bushehr. Sous le commandement du général Outram, ils ont entrepris de marcher vers le nord-est et remporté une première victoire sur les Perses à Kooshab. Rencontrant aux abords de Shiraz une importante concentration de troupes et de fortes pluies, ils se replient sur Bushehr, puis se dirigent vers la Mésopotamie en remontant le Shat-al-Arab. Ces manœuvres d’intimidation sont surtout destinées à servir d’argument dans les négociations diplomatiques qui se tiennent à Paris ; elles débouchent le 4 mars sur des accords de paix. Les deux nations signent un traité d’échanges commerciaux assorti de diverses clauses de bonne entente. Les Perses évacuent Hérat et l’Afghanistan, les cipayes d’Outram rentrent en Inde.
Le 14 avril 1857, au terme d’une grossesse des plus pénibles, la reine a donné naissance à la princesse Béatrice. Comme pour le prince
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