Victoria
vu Sébastopol prise par Mac Mahon tandis que Simpson échouait lamentablement sur le Redan, souhaitent poursuivre le combat. Déjà, l’empereur retire ses troupes de Crimée et veut entamer les pourparlers de paix, manœuvrant pour obtenir des compensations politiques en Pologne et en Italie, ou bien des concessions territoriales sur la rive gauche du Rhin.
« Le premier Français, écrit la reine à son ministre, qui s’approcherait du Rhin avec des intentions hostiles mettrait le feu à toute l’Allemagne. »
En réalité, l’empereur contourne les Britanniques et négocie secrètement les termes d’une paix avec la Russie par l’intermédiaire de l’Autriche. Palmerston proteste violemment auprès de Paris, affirmant que la Grande-Bretagne poursuivra seule la guerre plutôt que d’accepter pareilles conditions. Napoléon III, conscient de l’affection bien particulière que la reine porte depuis longtemps à son actuel Premier ministre, écrit personnellement à Victoria. Il ne peut pas, lui dit-il, continuer d’infliger de tels sacrifices à l’armée pour les « avantages microscopiques » de la politique de Palmerston. Victoria, bien que peu favorable aux termes imposés par les manœuvres du Français, révoltée par les souffrances de ses soldats, lui donne raison sur ce point. Old Pam, peut-être quelque peu rompu par les ans, trouvant peu d’appui par ailleurs auprès de ses ministres, s’incline.
« Palmerston, écrit le chroniqueur Greville, ironique clerc du Conseil privé, est maintenant en très bons termes avec la reine, ce qui, bien qu’il ne le sache pas, est grandement dû aux constants efforts de Clarendon pour les réconcilier. »
Le 22 novembre, Napoléon III écrit à Victoria une autre lettre, aussi longue que surprenante. Sans s’embarrasser de détails, il lui fait des propositions audacieuses qui auraient pour conséquence de réajuster la carte de l’Europe. Il suggère, par exemple, que la Pologne soit émancipée, que la Crimée soit annexée par la Turquie et la Finlande par la Suède. Ou bien encore, l’Autriche pourrait s’allier à la Prusse pour exiger de la Russie des conditions plus avantageuses. Sur les conseils d’Albert, Victoria lui répond qu’elle désire autant que lui une paix honorable, mais lui rappelle que si l’empereur des Français est un souverain absolu, le Royaume-Uni est une monarchie constitutionnelle.
« Vous n’avez à répondre de rien devant personne, vous pouvez tenir vos propres conseils, user dans vos négociations des personnes et des formes que vous désirez, vous pouvez changer de cap comme il vous plaît. En revanche, quant à moi, je suis tenue par certaines règles et certains usages. Je n’ai pas de pouvoir de décision absolu. Je dois suivre les recommandations d’un cabinet de ministres responsables, et ces ministres doivent se concerter et s’accorder sur une ligne d’action après être parvenus à une commune conviction de sa justice et de son utilité. Ils doivent aussi veiller à ce que les mesures qu’ils souhaitent prendre soient non seulement en accord avec le meilleur intérêt du pays, mais aussi telles qu’ils puissent les expliquer et les défendre au Parlement, et que leur bien-fondé puisse obtenir l’adhésion de la nation. »
Ainsi, la souveraine amitié franco-britannique s’évertue lentement à trouver un étroit chenal entre deux visions bien différentes de la politique internationale, sous un ciel où traînent encore les fumées de Waterloo. Pendant ce temps, la Russie pousse le pion de la Prusse, qu’elle préfère évidemment à l’Autriche dans le rôle de médiateur. Par contre, que les Prussiens, ces « Russes » qui ont si catégoriquement refusé de s’engager dans le conflit, veuillent maintenant tirer leurs marrons du feu ne réjouit vraiment ni Londres ni Paris.
Encore serait-il à craindre que ces géants, dans leur partie de bras de fer, oublient trop facilement la petite Sardaigne. Aussi Victor-Emmanuel II arrive-t-il à Buckingham le 30 novembre, accompagné du comte Cavour, après être allé se rappeler au bon souvenir des Tuileries. C’est un homme rustique, massif et roux, au nez camus, aux sourcils protubérants et bas, avec une moustache et une barbiche façon Napoléon III d’une épaisseur caricaturale. Sa timidité, accentuant en société sa brusquerie naturelle, ne met guère en valeur sa grandeur d’âme.
« Mon royal frère le roi de
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