Victoria
Léopold, l’« horrible chose » a eu lieu sous l’influence « bénie » du chloroforme. Victoria n’est pas fâchée de cette délivrance. Que les femmes sont donc malheureuses d’avoir à subir cet état, qui les réduit à la condition animale de « lapines » ! Néanmoins, c’est là son neuvième enfant, et elle aimerait tout de même aller jusqu’à dix, ne serait-ce que pour faire un chiffre rond. Son médecin le lui déconseille vivement. La reine aura 38 ans le mois prochain, et il semblerait qu’elle supporte de moins en moins bien ses maternités. Alors, elle lui fait signe de s’approcher, pour pouvoir plus commodément lui parler à voix basse. Puisque la science est désormais capable d’endormir les douleurs de l’enfantement, n’aurait-elle pas aussi découvert quelque moyen de prévenir tout à fait la chose ?
« Votre Majesté, je crains bien que la seule méthode sûre, morale et légale, ne soit l’abstinence.
— Oh ! Docteur, ne puis-je donc plus m’amuser au lit ? »
Avec la fin de cette épreuve et le retour des beaux jours, l’humeur de Victoria est merveilleusement apaisée. Elle reprend avec bonheur son rôle public de représentation, par des rencontres qui contribuent à tourner la page de la guerre, en manifestant l’harmonie retrouvée des relations internationales. Dans les derniers jours de mai, le grand-duc de Russie, Constantin Nikolaïevitch, rend visite au couple royal à Osborne et assiste à la revue de la flotte à Spithead. Il surprend Victoria et Albert par la franchise avec laquelle il évoque avec eux la campagne de Crimée.
Le 16 juin la princesse Béatrice est baptisée à la chapelle privée de Buckingham Palace. Son parrain est l’archiduc Maximilien d’Autriche, récemment fiancé à la princesse Charlotte de Belgique, fille de Léopold et nièce de Victoria. Dès le lendemain s’ouvre au Crystal Palace de Sydenham le premier festival Haendel, où près de trois mille personnes entendent le Judas Macchabée , chef-d’œuvre baroque du grand compositeur anglais d’origine allemande. À Manchester, dont la reine anoblit le maire à l’occasion de l’inauguration de l’Exposition des trésors de l’Art, elle se félicite de voir que le drapeau prussien flotte parmi ceux des nationalités représentées. Dans les discours qui lui sont adressés, on vante les mérites d’Albert et les fiançailles de Vicky, au moment où le prince de Galles s’apprête à partir pour Köningswinter, près de Bonn, où il poursuivra ses études avec des amis choisis.
L’amour que Victoria porte à Albert se renforce du gré qu’elle lui sait d’avoir patiemment assumé seul des tâches pour lesquelles son état l’avait provisoirement rendue moins disponible. Jamais leurs disputes passagères ne débordent le cadre de leur vie privée. Au fil des ans, Albert a durablement conquis l’estime du pays. Le temps où les Anglais lui reprochaient ses origines germaniques n’est plus qu’un lointain souvenir. Le regain de sentiments anti-allemands auquel a donné lieu la participation de la Prusse au congrès de Paris l’a épargné. Au contraire, la mauvaise grâce avec laquelle Berlin a accueilli l’annonce des fiançailles de Vicky lui attire la sympathie accrue de l’opinion publique. Depuis le succès de la Grande Exposition de 1851, le prince a gagné le respect et l’admiration de tous par son entier dévouement à servir la reine et le pays. Scrupuleusement intègre, soucieux de maintenir la monarchie au-dessus de querelles partisanes, « Albert le Bon » est l’infatigable défenseur des sciences et techniques, veillant sans cesse à l’amélioration de l’éducation et de la santé, œuvrant sans relâche à l’amitié entre les classes et les nations. Il est animé de la conviction, très largement partagée, que les avancées de la technologie et la croissance économique sont la condition nécessaire d’indispensables progrès sociaux.
Le 25 juin 1857, par un geste qui vient réaffirmer son attachement à l’institution du mariage et aux valeurs de la famille, Victoria fait officiellement d’Albert son « prince consort ». Elle aurait aimé que ce fût une décision votée par le Parlement. Les Communes, farouchement jalouses du pouvoir qu’elles concèdent à la Couronne, tardent à y consentir. C’est donc par lettres patentes que Victoria confère à son cher époux ce titre que le pays lui donne dans les
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