Victoria
fictions de Charles Dickens, de Nord et Sud d’Elizabeth Gaskell, ou bien encore de Sibyl ou les Deux Nations de Benjamin Disraeli. Car le chancelier de l’Échiquier est aussi un auteur à succès, célèbre pour ses romans d’idées. La vision politique de Disraeli repose sur une alliance ancestrale entre le peuple et la monarchie. En cela, il tourne le dos aux libéraux de Gladstone et à ceux qui, comme le radical libéral Cobden, pensent que les prolétaires et la classe moyenne ont les mêmes intérêts. Il est la figure de proue d’une nouvelle génération de conservateurs aux idéaux romantiques, la mouvance « Jeune Angleterre ». Ministre du gouvernement Derby, son objectif en 1867 est de faire voter la réforme électorale que les libéraux n’ont pas pu mener à bien. Son projet consiste, en gros, à accorder le droit de vote à tout citoyen britannique payant au moins un loyer. Disraeli a naturellement contre lui les tories les plus réactionnaires. En contrepartie, il trouve le soutien d’un certain nombre de députés radicaux, connus sous le nom de « clique du salon de thé », en raison de l’endroit où ils tiennent leurs conciliabules.
Disraeli a fait paraître Sybil ou les Deux Nations , deuxième volume d’une trilogie de romans politiques, en 1845. Trois ans plus tard, deux obscurs exilés allemands, Karl Marx et Friedrich Engels, publiaient à Londres le premier Manifeste du parti communiste . Ces années-là étaient celles de la grande famine en Irlande. L’idéologie libérale du « laisser-faire » économique a servi de justification aux Anglais pour laisser mourir de faim les Irlandais, alors même que les ressources de ce pays agricole continuaient d’être exportées vers l’Angleterre. En Irlande, il en résulte un ressentiment insurmontable des catholiques pauvres envers les propriétaires terriens protestants. La famine a entraîné une émigration massive. Vingt ans plus tard, la diaspora irlandaise aux États-Unis a les moyens de soutenir une lutte armée pour la conquête de l’indépendance irlandaise.
L’Irish Republican Brotherhood, Confrérie républicaine irlandaise, s’organise désormais comme une société secrète, avec des cellules aux États-Unis et en Grande-Bretagne, à New York, Londres, Manchester, Liverpool, Glasgow, mais aussi en Australie, au Canada, en Amérique du Sud… Les fenians américains lancent des raids contre les intérêts britanniques au Canada. En Irlande, où la « conspiration feniane » infiltre l’armée britannique, ils déclenchent des insurrections sporadiques, galvanisés par les faits d’armes du général Sheridan et autres héros irlandais américains de la Guerre de Sécession. En 1867, en Angleterre, ils attaquent l’arsenal de Chester, prennent d’assaut les prisons où les leurs sont incarcérés. Le Parlement, après plusieurs lois de pacification, suspend en Irlande l’ habeas corpus , qui depuis la Magna Charta de 1215 préserve les citoyens britanniques des arrestations arbitraires. Le républicanisme déclaré des indépendantistes irlandais fait des émules en Grande-Bretagne. De même que l’hymne des fenians est le God Save Ireland , dans leurs rassemblements les radicaux britanniques remplacent le God Save the Queen par le God Save the People d’Ebenezer Elliott.
Dans ces turbulences de l’air du temps, la reine est désemparée, bien qu’elle ne soit plus tout à fait inerte. Elle a posé la première pierre du Royal Albert Hall, à Kensington. Au sein du complexe culturel « Albertopolis » pour la promotion des arts et des sciences, cet édifice doit favoriser l’esprit de cohésion nationale qui présidait à la Grande Exposition de 1851. Dans une optique comparable, la publication des Feuilles du journal de notre vie dans les Highlands rencontre un vif succès de librairie. Si l’ouvrage fait naturellement l’objet de moqueries, il n’en renforce pas moins un lien personnel, presque intime, entre Victoria et son peuple. Sa Majesté apparaît dans ces pages comme une femme sensible et bonne, proche de la nature et des gens, menant l’existence vertueuse et simple d’une mère de famille bourgeoise. La reine distribue ses droits d’auteur substantiels à des associations caritatives et à « des personnes qui ne sont pas riches ».
Dans le même souci de consolider une image positive de la monarchie, Victoria veut mettre en évidence ce que la vie et le caractère d’Albert
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