Victoria
Gladstone se concentre sur l’Irlande avec obstination. Il veut y créer des universités catholiques et non confessionnelles. Victoria souhaiterait une politique moins idéologique et plus pragmatique, qui s’occupe en temps utile des problèmes concrets des gens. Par exemple, elle s’efforce d’attirer son attention sur l’augmentation et la gravité alarmantes des catastrophes ferroviaires.
« On légifère sur tous les sujets possibles et imaginables, lui écrit-elle, mais il en est un qui est bien aussi important que l’éducation, à savoir la sécurité des vies humaines, et il semble susciter bien moins d’intérêt que beaucoup d’autres. Il n’y a pas un seul autre pays où il y ait autant de terribles accidents. »
Victoria relève de sa maladie avec un appétit retrouvé pour les affaires de l’État. Il lui paraît plus que jamais indispensable de s’occuper de sa santé. Au mois d’avril, elle est allée prendre les eaux à Baden. Voyageant sous l’anonymat transparent de son titre de duchesse de Kent, elle a traversé dans les deux sens la France encore occupée. Dans cette chaleur printanière, elle a trouvé la cure de bains de vapeur tout à fait détestable. L’un des points positifs de ce voyage est qu’elle en revient avec un nouveau compagnon : le teckel Waldman.
Son amour des animaux est une des grandes consolations de Victoria. Elle n’a jamais oublié Dash, le petit épagneul king-charles que lui avait offert Mme de Kent lorsqu’elle avait 15 ans. Elle lui donnait elle-même son bain, et se souvient de l’avoir fait le jour de son couronnement. Quand il est mort, l’année de son mariage, elle a rédigé une épitaphe pour sa tombe, près du cottage d’Adélaïde, dans les jardins de Windsor.
« Ci-gît Dash, l’épagneul favori de Sa Majesté la Reine Victoria, à la demande de qui ce mémorial fut érigé. Il est mort le 20 décembre 1840 dans sa neuvième année. Son attachement était sans égoïsme, sa gaieté sans malice, sa fidélité sans tromperie. Lecteur, si tu veux être aimé pendant ta vie et regretté après ta mort, suis cet exemple. »
D’aussi loin qu’elle se souvienne, elle a toujours vécu entourée de ses chiens. Ils gravitent constamment autour d’elle, pendant ses promenades ou dans ses appartements, grimpant sur ses genoux, paressant sur les tapis ou sautant sur les tables. Elle affectionne tout particulièrement les modestes bergers écossais de la race border-collie, comme Noble ou Sharp. Ce dernier a très mauvais caractère et ne respecte qu’elle. Il y a aussi Roy, le fox-terrier, et bien d’autres encore. La passion de Sa Majesté fait de nombreux émules dans le pays. Elle s’en sert pour militer contre la cruauté envers les animaux. Ce qu’elle lit à ce sujet dans les journaux la révolte.
« La reine regrette de dire, écrit-elle un jour au ministre conservateur Gathorne Hardy, qu’elle pense que les Anglais sont enclins à être plus cruels envers les animaux que d’autres nations civilisées. »
Car, en dépit de ses convictions religieuses qui la persuadent de la nature spirituelle de l’espèce humaine, elle a l’intuition de sa grande parenté avec les espèces animales. L’admiration qu’avait Albert pour les thèses de Charles Darwin la conforte dans cette opinion. L’exemplaire pureté de sentiments que lui témoignent ses animaux familiers est à l’évidence une source de bonheur. Le développement de la civilisation ne vaut, à ses yeux, que dans la mesure où il ne détourne pas l’homme de sa bonté naturelle.
En juillet 1872, c’est dans cet environnement domestique, entourée de ses chiens, qu’elle reçoit de manière très informelle Henry Morton Stanley. Au mois de mai, Londres apprenait qu’il avait retrouvé l’explorateur écossais David Livingstone en octobre de l’année précédente, près du lac Tanganyika. Avec son accent américain sonore, Stanley raconte cette aventure. Victoria a suivi avec beaucoup d’intérêt les expéditions de Livingstone, qui a donné son nom aux chutes du Zambèze. Elle partage sa détestation de l’esclavage, et admire la mission qu’il a entreprise d’apporter aux peuples d’Afrique le salut de la religion chrétienne. Elle se remémore Livingstone dans son uniforme de consul britannique, veste noire, pantalon bleu et képi à galon doré.
« Je pourrai enfin affirmer aux Africains, lui disait-il, que j’ai vu mon chef. Ils me
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