Victoria
britanniques se retirent. Ainsi, ce conflit au Moyen-Orient se résorbe à moindres frais. Tout laisse espérer que celui d’Afrique du Sud prendra bientôt le même chemin.
Soudain, une péripétie de la guerre africaine est source d’un émoi sans rapport direct avec ses enjeux. Victoria apprend la nouvelle par un télégramme laconique : « Le jeune prince français est mort. »
« Non ! Non ! Cela ne peut pas être vrai. Cela ne se peut pas ! » dit-elle en se prenant la tête entre les mains.
Le prince Louis-Napoléon avait tenu à participer à la campagne d’Afrique du Sud. Devant l’insistance de l’impératrice Eugénie, Victoria avait obtenu qu’il parte, contre l’avis de Beaconsfield et malgré les réticences des autorités militaires. Le prince impérial avait été admis sur le théâtre des opérations, le duc de Cambridge recommandant qu’il lui soit permis d’y assister comme officier sans affectation particulière. Le 1 er juin 1879, il a pris la tête d’une petite expédition de reconnaissance. Par une suite de malentendus et d’erreurs, il est tombé dans une embuscade et les Zoulous l’ont tué à coups de lance.
En France, l’émotion est vive. Les bonapartistes accusent les Anglais d’avoir délibérément omis de protéger suffisamment celui dont ils espéraient qu’il deviendrait un jour Napoléon IV. Sans doute, le prince impérial avait voulu partir en Afrique pour prouver sa valeur militaire.
« Mourir d’aussi horrible façon est vraiment trop choquant ! écrit Victoria dans son journal. Pauvre chère impératrice ! Son seul enfant, qui était toute sa vie, parti ! Je suis vraiment au désespoir. Il était un si aimable jeune homme, qui aurait fait un si bon empereur pour la France un jour ! C’est un vrai malheur. »
Victoria tient à ce que l’Angleterre lui fasse de grandes funérailles. Chef de l’Église anglicane, elle ne peut pas y assister, mais elle est malgré tout présente à la levée du corps, dépose des pivoines et s’agenouille, le visage baigné de larmes. Le prince de Galles, les princes Alfred, Arthur et Léopold portent le cercueil recouvert des drapeaux français et britannique. Le cardinal Manning, prélat catholique, conduit les obsèques. Les gentlemen cadets de Woolwich, camarades de promotion du prince impérial, tirent une salve d’adieu. La princesse Béatrice reste si longtemps à genoux qu’un assistant doit lui dire de se relever. Cette circonstance tend à accréditer la rumeur selon laquelle Béatrice nourrissait de tendres sentiments pour Louis-Napoléon.
Victoria va voir Eugénie à Chislehurst, pour partager sa douleur. Plus tard, l’impératrice ayant commandé un buste du prince à Richard Belt, la reine donne des précisions au sculpteur.
« Il y a un détail de la bouche que vous n’avez pas rendu très exactement. Je vais vous montrer, si quelqu’un veut bien me prêter un chapeau d’homme. Quand le prince saluait une dame, il soulevait son chapeau de cette façon et il entrouvrait ses lèvres comme ceci. Voilà, Mr Belt : c’est à cela que le prince ressemblait. »
Eugénie se rendra au Natal, sur les lieux où Louis-Napoléon a trouvé la mort. Elle sera escortée par le général Sir Evelyn Wood. Une croix de pierre, envoyée par Victoria, sera érigée sur la scène du drame.
Un jour de cet été 1879 pareil à tous les autres, car cette année-là le soleil reste constamment caché par un ciel bas et lourd, Elizabeth Thompson, Lady Butler, est à Windsor. Victoria a demandé à voir, en cours de travail, le tableau qu’elle lui a commandé. Lorsque Henry Ponsonby est venu lui faire part des intentions de la reine, Elizabeth Thompson a proposé de représenter le prince impérial, peu après sa mort, porté sur les lances du 7 e régiment de lanciers. Sa Majesté a pensé qu’il valait mieux ne pas peindre ce sujet, et préféré une allégorie de la bataille de Rorke’s Drift, où le 24 e stoppa les armées du Natal. Victoria s’avance, avec Beaconsfield, dans la galerie Waterloo où son œuvre est posée sur un chevalet. Lady Butler fait une profonde révérence. Victoria la relève en lui prenant la main, et lui demande d’expliquer les détails de son tableau.
Au centre de la toile, la mission-hôpital incendiée brûle dans le vent, barrant le ciel de flammes et de fumée noire sur une crête montagneuse où stagne la brume. À droite, les soldats en tuniques rouges,
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