Victoria
Elle est tombée malade pour avoir embrassé son petit. Le 14 décembre 1878, dix-septième anniversaire de la mort d’Albert, Brown lui apporte un télégramme de son gendre Louis de Hesse.
« Pauvre Maman, pauvre de moi, mon bonheur parti, chère Alice. La volonté de Dieu soit faite. »
Alice avait 35 ans. Elle était grande-duchesse de la Hesse et du Rhin depuis l’accession de son mari Louis IV de Hesse en juin 1877. Admiratrice de Florence Nightingale, fondatrice d’une « Guilde des femmes », elle s’était consacrée à la cause féminine et aux soins infirmiers. Son militantisme pour améliorer la condition des femmes lui valait des inimitiés en Allemagne. Ses adversaires la calomniaient parce qu’elle aimait s’entourer d’artistes et de gens de lettres.
« Alice s’est éteinte progressivement et elle est partie noblement, douce enfant, qui se comporta si admirablement pendant la maladie de son père et ensuite, en me soutenant, en m’aidant de toutes les façons possibles. Qu’elle soit rappelée auprès de son père le jour de cet anniversaire me semble incroyable et très mystérieux ! Pour moi, il y a quelque chose de touchant dans l’union qui en résulte, leurs noms pour toujours unis en ce jour de leur naissance dans un autre monde ! »
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« Si nous devons maintenir notre position en tant que puissance de premier plan, avec notre empire indien et nos colonies, nous devons nous attendre à des attaques et des guerres, ici et là, continuellement. »
En parlant ainsi à Beaconsfield, Victoria insiste sur la nécessité pour le gouvernement d’avoir conscience de ces choses, pour veiller constamment à désamorcer les conflits en amont. « Cela préviendra les guerres. » Car l’état de grâce qui a fait suite au succès de Beaconsfield au congrès de Berlin ne dure pas. Vers la fin de l’année 1878, il apparaît que le tsar a déplacé son centre d’intérêt vers l’Asie centrale et semble convoiter l’Inde. En Afghanistan, la Russie a dépêché une mission diplomatique à Kaboul dès le mois de juillet. Le vice-roi des Indes, Lord Lytton, répond par l’envoi d’une délégation britannique puissamment escortée. L’émir Shir Ali Khan refoule les Anglais au défilé de Khyber, dans les montagnes de l’Hindou-Kouch qui forment la frontière afghane des Indes. En décembre 1878, le Royaume-Uni déclare la guerre à l’Afghanistan et l’envahit avec une armée de quarante mille hommes. Shir Ali Khan, ne pouvant obtenir l’appui des Russes, décède dans le nord du pays en février 1879. À Kaboul, son fils Muhammad Yaqub Khan lui succède.
Cette seconde guerre d’Afghanistan découle des mêmes motivations géopolitiques que celle de 1839-1842. Elle ne fait que commencer, lorsque la Grande-Bretagne se trouve parallèlement engagée dans un autre conflit, en Afrique du Sud. En 1877, à l’initiative de Lord Carnavon, ministre des Colonies, l’Empire britannique a annexé le Transvaal, alors en situation de banqueroute et menacé par les Zoulous du Natal. Le proconsul Sir Bartle Frere et Lord Chelmsford, commandant en chef des forces britanniques en Afrique du Sud, sont de fervents annexionnistes. Dans la querelle frontalière qui oppose les Boers aux Zoulous, une commission britannique a rendu un arbitrage favorable à ces derniers. Néanmoins, Sir Bartle Frere adresse au roi Cetshwayo kaMpande un ultimatum des plus arrogants.
En janvier 1879, Chelmsford attaque les Zoulous, pensant n’en faire qu’une bouchée. Las ! Les guerriers du Natal se battent comme des lions, pieds nus, armés de sagaies et d’antiques mousquets souvent tenus à bout de bras pour éviter le recul. Remarquables tacticiens, ils mettent en déroute une armée britannique de treize mille hommes à la bataille d’Isandhlwana. Le Transvaal n’est sauvé de l’invasion que par une poignée de cent dix héros, sous le commandement des lieutenants Chard et Bromhead. Retranchés dans l’hôpital d’une mission, qu’ils fortifient avec des sacs de sable et des boîtes de biscuits en fer-blanc, ils arrêtent le déferlement de quatre mille Zoulous à Rorke’s Drift.
Devant cette situation qui demeure précaire, la Grande-Bretagne fulmine de rage impuissante. Tandis que Victoria et le duc de Cambridge, commandant en chef des armées, envoient des messages de soutien, le pays indigné exige le rappel de Frere et de Chelmsford. Le général Wolseley fait route vers
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