Victoria
Mr Gladstone. Est-ce du patriotisme et de la dévotion à la Souveraine ? Qu’a-t-il apporté à la Reine et au pays ? Pareille attitude est inouïe et sa seule excuse est qu’il n’est pas tout à fait sain d’esprit . »
Victoria écrit sur ce ton à Ponsonby pour préparer le terrain par quelques tirs d’artillerie. Elle sait que tout ce qu’elle dit à son secrétaire particulier sera répété à Gladstone. De retour à Londres, elle pressent d’abord, pour le poste de Premier ministre, Lord Granville, puis Lord Hartington. Qu’ils la renvoient à Gladstone ne la surprend pas. Quand enfin elle le convoque, l’entretien s’avère aussi pénible qu’elle le prévoyait. À 71 ans, « le William du peuple » est devenu très sourd, et s’adresse à elle d’une voix encore plus tonitruante. Pourtant, le pilonnage royal par Ponsonby interposé semble avoir porté quelques fruits, car il commence toutes ses communications par la formule : « Mr Gladstone présente ses humbles devoirs à Votre Majesté. »
D’âpres négociations s’engagent, parce que Gladstone veut faire entrer dans son cabinet des députés connus pour leur extrémisme. Victoria regimbe farouchement, en particulier sur le cas de Sir Charles Dilke.
« Il est bien connu pour être un démocrate, un républicain masqué, qui est en correspondance avec les extrémistes républicains français. Il s’est montré personnellement insultant dans ses propos envers la cour. »
Dilke sera d’abord sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères. Parmi les radicaux intransigeants que Gladstone est plus ou moins contraint de prendre à son bord, Sir Joseph Chamberlain se distingue par son ouverture aux idées socialistes. Aussi antimonarchiste que Dilke, il ne se définit cependant pas exactement comme républicain.
« La Reine n’est pas partisane, précise-t-elle encore à Ponsonby, et ne l’a jamais été depuis les trois ou quatre premières années de son règne ; encore le fut-elle à cause de son inexpérience et de sa grande amitié pour Lord Melbourne. Mais elle a, en commun avec de nombreux whigs ou libéraux raisonnables, été profondément peinée et indignée par la tendance aveugle et délétère de l’ opposition qui risque de démolir le pays, et son grand désir est de les mettre en garde de ne pas persévérer dans une attitude si dangereuse et irresponsable. »
Le nouveau Parlement qui se réunit en 1880 se caractérise par une génération de députés combatifs, qui secouent l’institution séculaire. Les radicaux et les libéraux les plus décidés ont pris quelques leçons des méthodes introduites par Parnell et les Irlandais du Home Rule, qui se livrent à une sorte d’entrisme dans les instances de ce qui est pour eux un État colonial. Les indépendantistes irlandais se placent alors, avec l’opposition conservatrice, à gauche du speaker. Du même côté apparaît un groupe de nouveaux conservateurs, appelés « le quatrième parti ». Leur leader est Randolph Churchill, qui avec ses amis pratique aussi l’obstruction, posant des centaines de questions, prononçant des dizaines de discours interminables. Décidément, Gladstone n’a pas la tâche facile. Bientôt, Victoria peut se réjouir de le trouver visiblement marqué par l’exercice du pouvoir.
« Gladstone n’est plus ce qu’il était : il est très baissé , écrit-elle en français à Vicky, et vraiment un peu fou. Il a été malade et ne s’en est pas encore remis, et je crois (j’espère sincèrement) qu’il ne tiendra pas encore une autre session. »
Bien qu’elle se défende d’être partisane, la reine résiste activement. Elle a conféré à son cher Beaconsfield le privilège de s’adresser à elle à la première personne. Par l’intermédiaire de ses dames de compagnie, elle demeure en communication avec lui, à l’insu de Ponsonby. Ils évitent naturellement les conversations politiques. Victoria n’a besoin de personne pour river son clou à Gladstone. Par exemple, lorsqu’il veut équilibrer son budget par une taxe sur la bière, elle ne lui envoie pas dire qu’il pénaliserait les classes laborieuses.
« Les riches, lui rétorque-t-elle, qui boivent du vin et ne sont pas freinés le moins du monde dans leur laisser-aller, ont bien les moyens de s’offrir du vin. Mais les pauvres ne sont pas en mesure de supporter un impôt supplémentaire sur ce qui, en bien des régions, est à peu
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