Victoria
la tête.
Victoria souhaiterait vivement en faire autant pour Gladstone lui-même. Elle lui propose de l’élever à la pairie en lui conférant le titre de comte.
« Le pays, lui écrit-elle, serait indubitablement heureux de cette marque insigne de reconnaissance pour les longs et éminents services rendus par Mr Gladstone, et la Reine pense qu’il serait bénéfique pour sa santé de ne plus s’exposer aux pressions extérieures par des tâches plus actives qu’il ne devrait entreprendre. »
Gladstone refuse humblement. Si Victoria espérait ainsi le soustraire aux Communes et l’écarter d’un éventuel retour aux affaires, c’est raté.
Pour la famille royale, l’événement de l’été 1885 est le mariage de la princesse Béatrice avec le prince Henry de Battenberg. Hélas, cette union fait l’objet de critiques, et le titre d’altesse royale conféré au prince ne sera pas reconnu hors d’Angleterre. De surcroît, l’atmosphère est alourdie par les frasques du grand-duc Louis de Hesse. En effet, le veuf d’Alice, que Victoria avait souhaité voir épouser Béatrice, divorce de son épouse morganatique la comtesse Kalomine. Les relations au sein de la famille royale sont orageuses. Aussi les noces de Béatrice, beaucoup moins fastueuses que celles de ses frères et sœurs, sont-elles célébrées simplement à l’église du village de Whippingham, sur l’île de Wight.
« Je conduisais à l’autel pour la neuvième fois un enfant et pour la cinquième une fille, pourtant je crois n’avoir jamais été aussi émue qu’en cette occasion, mais jamais non plus aussi confiante. »
Pour les familles politiques, les alliances et relations sont tout aussi complexes et souvent bien moins stables. La « démocratie tory » de Salisbury et de ses ministres peine à se mettre en œuvre. Les conservateurs traditionnels les traitent de « socialistes », et les libéraux de démagogues. De toute façon, ce gouvernement, qui ne s’appuie pas sur une majorité aux Communes, ne peut pas faire grand-chose. Paralysé à l’intérieur, c’est dans l’empire colonial qu’il trouve une opportunité d’action.
En Afrique, la conférence de Berlin laisse la Belgique s’emparer du Congo. L’Égypte continue de revendiquer le Soudan. Pourtant, c’est en Extrême-Orient que les choses se passent. La France poursuit sa conquête de l’Indochine, en ajoutant l’Annam au Tonkin, à la Cochinchine et au Cambodge, avant d’avancer vers le Laos. En 1885, la Chine inflige des revers aux Français. Le moment paraît opportun, pour la Grande-Bretagne, de prendre quelques garanties. Sous l’impulsion de Randolph Churchill, secrétaire d’État à l’Inde, les Anglais entreprennent l’annexion de la Birmanie, à laquelle ils s’étaient déjà essayés en 1825 et 1852. Cela revient à étendre le territoire de l’Inde à l’est, de l’autre côté du golfe du Bengale. En octobre, le général Prendergast occupe Mandalay et dépose le roi Thibaw. À la fin de l’année, il s’est rendu maître du sol birman jusqu’à la frontière chinoise. Le 1 er janvier 1886, Randolph Churchill peut déclarer aux Communes qu’il offre la Birmanie à la reine Victoria comme cadeau de nouvel an.
Cette victoire n’apporte pourtant pas de bénéfice politique à ses auteurs. Car la manœuvre électorale qui a porté les conservateurs au pouvoir se retourne maintenant contre eux. Churchill avait acheté les voix des Irlandais en promettant l’arrêt de la coercition. Gladstone surenchérit en leur proposant le Home Rule, pour lequel ils militent expressément depuis 1870. Il s’agit, ni plus ni moins, de donner à l’Irlande une assemblée législative. Le terme de « Parlement » est évité à dessein, pour ne pas paraître revenir sur l’Acte d’union de 1800, qui a aboli le Parlement irlandais. Le pouvoir exécutif resterait au lord-lieutenant d’Irlande, la grande innovation étant que les députés irlandais ne siégeraient plus à Westminster, mais à Dublin. Londres garderait certaines prérogatives pour ce qui concerne la défense et la guerre, les affaires étrangères et les traités, le commerce et la monnaie. Dans les faits, cela consisterait à octroyer à l’Irlande une indépendance partielle.
Le Home Rule est une proposition que les parnellites ne peuvent pas refuser : ils changent de bord. Encore faut-il trouver une question moins polémique sur laquelle faire tomber
Weitere Kostenlose Bücher