Victoria
comme toutes les autres, a ses petites histoires. Ainsi, Louise est partie au Canada, dont son mari le marquis de Lorne a été nommé gouverneur. Le lac Louise et la province d’Alberta portent les prénoms de la princesse. En 1880, dans un accident de traîneau, elle a perdu une oreille. Peu de temps après, elle a quitté le Canada, bientôt suivi par son époux. Louise a un talent pour la peinture et la sculpture. Toutefois, son mariage n’est pas vraiment heureux, et certaines rumeurs circulent sur la bisexualité du marquis de Lorne.
Victoria veille à l’éducation de ses petits-enfants. Eddy, le fils aîné de Bertie, a déjà 21 ans. « On croit vraiment rêver ! » Willie, le prince Guillaume, fils de Vicky, vient d’avoir 26 ans. Il a un caractère exécrable, aggravé peut-être par son handicap au bras, et se montre régulièrement insolent. Il a dit des horreurs sur la généalogie de Liko.
« J’avais un cadeau pour l’anniversaire de Willie. Est-ce que je le lui envoie ou non ? Je ne lui écrirai certainement pas. »
À Londres et sur les champs de courses, le prince de Galles continue de mener une vie trop peu sérieuse pour que Victoria l’approuve. Il ne se lasse jamais de demander à être tenu au courant des affaires publiques, avec l’appui de Gladstone, à qui il ne déplairait pas de diviser la Couronne. Victoria trouve qu’il parle beaucoup trop librement à bien trop de gens. Elle lui lâche un peu de lest sur tel sujet qui s’accommodera de la publicité : Bertie entre à la commission sur le logement des classes laborieuses. Toutefois, Sa Majesté garde la haute main sur les documents d’État qu’il peut voir ou non. Que chacun s’emploie donc selon ses talents particuliers ! À Marlborough House, Bertie et Alix tiennent une cour mondaine, ce qui dispense la souveraine de cette corvée.
Pourtant, on ne s’ennuie pas toujours au Palais. Victoria apprécie les facéties d’Alexander Yorke. Alick est un groom, faisant fonction d’amuseur, autant dire de bouffon. C’est une grande folle parfumée, qui comme la reine aime les fleurs, et se prélasse sur les divans en costume de dandy. Organisateur des spectacles et divertissements, il traîne constamment dans l’entourage royal, à l’affût de quelque drôlerie. Alick possède le don rare de faire rire Sa Majesté aux éclats. L’un de ses tours consiste à lâcher des plaisanteries dont il sait qu’elles sont trop osées pour qu’elle s’autorise à pouffer tout de suite. Victoria protège d’abord la respectabilité de ses dames : « Nous ne sommes pas amusées », dit-elle d’un air pincé. Le fou rire est dès lors garanti.
À Pâques 1885, Victoria passe quelques semaines à Aix-les-Bains. Elle descend à la Villa Mottet, près de l’hôtel de l’Europe. Les vacances sont gâchées par une controverse diplomatique avec la Russie, sur la question de la frontière afghane, qui éclate à ce moment-là. Elle part chargée de boîtes rouges, pleines de dépêches, et doit répondre à une cinquantaine de télégrammes chiffrés par jour. Comme par hasard, c’est le moment que le gouvernement choisit pour retirer les troupes britanniques d’Égypte, contre l’avis du général Wolseley. Victoria n’est pas dupe : Gladstone veut profiter de son absence, et tout ce bruit sur la Russie et l’Afghanistan est une grossière diversion. Pour qui la prend-on ?
« Je suis très mécontente, écrit-elle à Ponsonby, que cela soit fait pendant mon absence, après qu’on m’a assurée à mon départ qu’il n’y aurait pas de changement. Pour quelle raison ? J’abonde dans le sens de Lord Wolseley en ce qui concerne l’effet politique. Aucun changement ou retrait ne doit avoir lieu immédiatement. Sur ce point, J’INSISTE : l’effet serait grave. Il se pourrait qu’il n’y ait pas de guerre avec la Russie, et dans ce cas nous aurions rappelé nos troupes pour rien. La Reine est très contrariée que le gouvernement ne tire aucune leçon de son expérience, et soit tout à fait incorrigible. »
Gladstone et ses ministres continuent de ne pas la tenir informée des affaires et cherchent systématiquement à l’évincer. Palmerston, en son temps, ne se comportait pas différemment, bien qu’avec des sabots un peu moins gros. Inutile de s’en plaindre : au contraire, ce serait un signe de faiblesse. Il faut rendre les coups. Elle écrit à Hartington, en amenant le différend sur le
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