Victoria
devient « M. O. G. », « Murderer Of Gordon ».
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En janvier 1885, les fenians baptisent la nouvelle année par une nouvelle série d’attentats à la bombe. Des charges de dynamite endommagent le palais de Westminster, ainsi que la tour et le pont de Londres. Deux autres explosent dans le métro, pour la première fois depuis l’inauguration du Metropolitan Railway en 1863.
Les Anglais sont par nature plutôt rétifs à l’intimidation. Aussi, il se pourrait que ces outrages fassent plutôt reculer la cause du nationalisme irlandais que leurs auteurs croient servir. À première vue, ils pourraient embarrasser Charles Parnell et ses amis du parti parlementaire irlandais. En réalité, c’est le contraire qui se produit. Le bloc des nationalistes irlandais, bien organisé, se voit renforcé par la réforme électorale de 1884. Ces « parnellites » sont courtisés par l’une et l’autre des grandes formations susceptibles de former un gouvernement.
Une nouvelle génération de tories travaille pour ramener le parti conservateur au pouvoir. Leur chef de file est Randolph Churchill, qui prône la « démocratie tory » pour conquérir les électeurs des masses laborieuses. Randolph Churchill est l’héritier spirituel de Benjamin Disraeli, qui avait en son temps inspiré le mouvement de la Jeune Angleterre. Avec ses amis du « quatrième parti », il a fondé en 1883 la Ligue de la primevère, en souvenir de la fleur préférée de Lord Beaconsfield, dont la devise est « Imperium et libertas ». En 1885, Churchill et ses partisans passent un accord avec les parnellites, qui leur promettent leurs voix en échange de l’abandon des lois de coercition en Irlande, quand les libéraux de Gladstone seront battus. Les jours du gouvernement sont comptés. Il ne reste plus qu’à choisir le moment opportun pour la mise à feu.
Sa Majesté, quant à elle, demeure comme il se doit au-dessus des partis. Le 25 février 1885, elle est à Windsor, au chevet de sa petite-fille, la princesse Victoria de Battenberg, fille aînée d’Alice, qui attend son premier enfant. De 7 heures du matin jusqu’à sa délivrance à 5 heures de l’après-midi, la reine Victoria tient la main de la princesse Victoria, comme elle l’avait fait pour la princesse Alice vingt-deux ans plus tôt. La princesse accouche, dans le même lit où elle est née, comme aussi sa mère, d’une fille qu’elle nomme Alice. Elle portera ainsi le nom de sa grand-mère défunte, qui est aussi celui de sa cousine, fille de la duchesse Hélène d’Albany et du pauvre prince Léopold.
Pour la reine Victoria, les responsabilités de famille se superposent constamment aux affaires d’État. Depuis la mort de Léopold, la duchesse d’Albany et ses enfants sont à sa charge. Il en va de même pour ceux de Helena et du prince Christian. Cela vaut aussi pour les enfants d’Alice et du prince Louis de Hesse. Ce dernier pose quelques problèmes, parce qu’il a contracté en secret un mariage morganatique avec la comtesse de Kalomine.
Au nombre des familles princières qu’il revient à Sa Majesté de maintenir vont bientôt s’ajouter celle de Béatrice et du prince Henry de Battenberg. Car Bébé doit se marier cette année avec le jeune frère de Louis de Battenberg, le mari de la princesse Victoria qui vient d’accoucher à Windsor. La complexité de cette immense famille est labyrinthique.
En outre, l’annonce des fiançailles de Béatrice avec Henry de Battenberg, alias Liko, a bien failli fâcher Victoria avec Vicky et Fritz. En effet, les Allemands protestent que Liko est lui-même issu d’un mariage morganatique. Il n’est donc pas un prince du sang : « N icht von Geblüt ! »
« Le cher Fritz, écrit Victoria à Vicky, me parle de Liko comme n’étant pas du sang : un peu comme pour les animaux. Ne le prenez pas mal… »
« Si la reine d’Angleterre, ajoute-t-elle, trouve une personne assez bien pour sa fille, qu’est-ce que les autres ont à dire ? »
Sa Majesté aime beaucoup Liko. Gendre modeste, très attentionné, il restera auprès d’elle avec Bébé. Surtout, c’est un mariage d’amour, bien qu’ils ne s’embrassent jamais, parce que Béatrice déteste cela. Victoria s’en réjouit. « C’est ce qui m’exaspérait chez ce cher Fritz », dit-elle à Vicky. En revanche, Liko et Bébé fument comme des pompiers, ce que la reine trouve absolument dégoûtant.
La famille royale,
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