Victoria
Elle s’étonne, toutefois, qu’il puisse apprécier Haendel.
De nouveau Victoria est conviée à un bal que le roi Guillaume donne au palais St James. Elle qui aime tant cela d’ordinaire ne danse que cinq fois. L’empressement que l’on met à vouloir la marier lui paraît pour le moins ridicule. Sa Majesté n’a guère eu d’autre dessein en invitant le prince d’Orange, Guillaume II, roi des Pays-Bas, et ses deux fils Alexandre et Guillaume. Il a convié en même temps George de Cambridge, cousin germain de la princesse. Son Premier ministre, Lord Melbourne, serait plutôt favorable à une union entre ces deux héritiers de la couronne. À tout le moins, le roi souhaiterait qu’elle épouse un prince protestant sans aucune affinité avec les Saxe-Cobourg. Les princes d’Orange ne sont pas suspects d’être des amis du roi des Belges, ni de son épouse catholique et française. Le roi des Pays-Bas, de surcroît, a été autrefois fiancé à la princesse Charlotte, qui lui a préféré Léopold. « Voilà un homme, dit-il, qui a pris ma femme et mon royaume. »
Prévenue contre les princes d’Orange tout à la fois par sa mère et par son oncle, Victoria les trouve sans goût ni grâce. Elle n’a pour George de Cambridge pas plus de tendresse que peut en avoir une héritière présomptive de la couronne pour un éventuel successeur. Enfin, elle sait que le prince Ernest de Saxe-Cobourg et ses deux fils, Ernest et Albert, ont pris la mer à Rotterdam pour répondre à l’invitation de la duchesse de Kent. S’ils ont la bénédiction du roi des Belges, ils sont moins assurés de celle du roi d’Angleterre, qui laisse entendre qu’il préférerait que cette visite fût remise à l’année suivante. Léopold ironise, oubliant un instant sa réserve diplomatique coutumière.
« Maintenant que l’esclavage a été aboli même dans les colonies britanniques, écrit-il à sa nièce, je ne comprends pas pourquoi vous seule devriez être traitée comme une petite esclave blanche en Angleterre pour le bon plaisir de la cour, qui ne vous a jamais achetée. Car je ne sache pas qu’ils aient fait de grandes dépenses pour cela, ni que le roi ait jamais offert six sous pour votre subsistance. »
On peut compter sur la duchesse de Kent pour n’en faire qu’à sa tête. Le roi Guillaume, furieux, lui enjoint, par l’entremise de son ministre des Affaires étrangères, Lord Palmerston, de ne pas recevoir chez elle son frère et ses neveux. Il ajoute que Leurs Altesses Sérénissimes devront descendre dans des hôtels londoniens. Est-ce bien d’un roi d’Angleterre de sous-entendre, aussi grossièrement, que la compagnie de ces princes allemands pourrait faire courir quelque danger à la vertu de leur cousine ? Mme de Kent choisit donc de faire comme si elle n’avait rien entendu.
Léopold nourrit depuis toujours l’ambition d’un mariage entre Victoria et Albert, second fils du prince Ernest de Saxe-Cobourg Gotha. Albert est né en août 1819, quelques mois après Victoria, mis au monde par la même Charlotte Heidenreich von Siebold. Au château de Rosenau, près de Cobourg, il a été éduqué pour devenir un jour le prince consort de la future reine d’Angleterre. Au début de l’année 1836, Léopold a demandé à son ami Stockmar de préparer Albert à ce prestigieux destin. Le prince devra tout d’abord gagner l’affection de la princesse, car un tel projet ne saurait être couronné de succès qu’à la condition de se fonder sur un mariage d’amour. Parallèlement, le 1 er mai 1836, Léopold a écrit à la baronne Lehzen pour qu’elle avertisse Victoria du parti que son oncle souhaite lui proposer.
« Le dix-septième anniversaire de la princesse marque une étape importante dans sa vie : encore un an seulement et la perspective d’une régence s’évanouira comme un nuage maléfique. C’est le moment idéal pour que nous, qui sommes loyaux, nous préoccupions de l’avenir de la chère enfant. Une union immédiate est hors de question. Elle doit atteindre son dix-huitième anniversaire, et peut-être même davantage : sa santé en décidera. La princesse ferait peut-être bien, pour sa sérénité et la paix de son esprit, de faire un choix et de s’y ancrer fermement. »
C’est donc avec un esprit averti que Victoria a rencontré successivement les princes Ferdinand et Auguste de Saxe-Cobourg, les princes d’Orange et son cousin George de Cambridge. En
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