Victoria
simple.
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La chambre Waterloo du château de Windsor est une grande nef, au plafond rehaussé d’une claire-voie par des nervures en berceau, reposant sur une tribune en saillie. L’architecte Wyatville, à qui le roi George avait commandé cet ouvrage pour célébrer la victoire des Alliés à Waterloo, a conçu ces imposantes voûtes de chêne pour évoquer la charpente d’un navire. Les hauts murs, lambrissés de panneaux sculptés, sont ornés d’une galerie de portraits en pied, représentant les principales personnalités qui se coalisèrent pour vaincre Napoléon. Entre autres figures, George IV côtoie le pape Pie VII, le duc de Wellington, le maréchal von Blücher, le prince Metternich, Lord Liverpool et Lord Castlereagh. Au balcon, un orchestre joue. Sous les vastes lustres, Victoria danse le quadrille avec ses cousins, les princes Ferdinand et Auguste de Saxe-Cobourg.
En mars 1836, le roi Guillaume IV et la reine Adélaïde reçoivent le duc Ferdinand, frère de Léopold, avec ses deux fils. L’aîné, Ferdinand, est en route pour le Portugal, dont il a épousé in absentia la reine Marie II, que Victoria avait rencontrée lors de son premier bal d’enfants, quand elles n’avaient toutes deux que 10 ans. Il est le second époux de Maria da Gloria, dont l’union avec Michel I er a été annulée. Ce mariage royal d’un prince de Saxe-Cobourg est un des succès diplomatiques du roi des Belges.
Quelques jours plus tard, la duchesse donne deux autres bals, à Kensington. Victoria aime ces réceptions en grande tenue. Elle y paraît, resplendissante, dans les robes de satin offertes par la reine Louise. Elle admire la prestance des jeunes hommes dans leurs uniformes d’apparat. Ses cousins sont grands et beaux. Auguste possède plus de charme que Ferdinand, qui a une façon un peu ridicule de parler très lentement d’une voix nasillarde. Tous les deux l’amusent en plaisantant comme des enfants dès qu’ils ne sont pas trop en représentation.
« Oh ! Quand je pense que très bientôt je ne verrai plus ce cher, cher Ferdinand, je me sens si triste ! C’est le dernier jour que nous passons ensemble ! Oh ! Je l’aime tant , il est tellement excellent ! »
Auguste reste encore deux semaines à Kensington après le départ de son frère. La compagnie de ce cousin plein de joie de vivre la ravit. Elle apprécie sa silhouette bien faite, la pâleur de son teint, la finesse de ses mains. Le cher garçon fait le chevalier servant. Ils rient comme des écoliers quand une des lettres qu’il cachette pour elle à la cire s’enflamme.
Elle ne pense presque plus à Lord Elphinstone, cet adorable jeune officier des Horse Guards qui, il y a peu, lui faisait une cour romantique. L’imprudent dessinait ostensiblement la princesse à l’église. Déjà la rumeur les mariait. Elphinstone a opportunément reçu une affectation à Madras, dans les Indes lointaines.
Puis Auguste et son père repartent. Avec eux s’en va la gaieté des jours de fête.
« Ils me manquent terriblement. Particulièrement Auguste. »
La chape d’ennui retombe sur elle. Kensington, malgré les travaux de décoration que la duchesse y a fait faire, est pour elle une prison. Les pressions sans cesse renouvelées de Conroy, la compagnie désolante de sa famille, l’éprouvent. Les réponses que Léopold fait à ses lettres l’incitent à la résignation plus qu’elles ne la réconfortent.
« C’est malheureusement à l’image de la vie : tout est transitoire sauf la soif du bonheur et de la félicité, qui semble indiquer qu’elle ne pourra s’étancher que dans un lointain avenir. »
Son nouveau professeur de chant est Luigi Lablache, le célèbre chanteur lyrique napolitain. La première fois qu’elle rencontre ce colosse à la puissante voix de basse, Victoria est prise de tremblements. Elle flageole de tout son corps, incapable pour un temps de se contrôler, sans comprendre pourquoi.
« Personne n’a jamais eu peur de moi », lui dit-il. La gentillesse, la prévenance de l’homme contrastent avec le gigantisme olympien de l’artiste sur scène. La princesse, peu à peu, se rassérène et parvient à chanter l’air « O che in cielo » du Marino Faliero de Donizetti . Elle a une petite voix flûtée. Lablache arrange des duos pour elle et sa mère, des arias de Norma , de L’elisir d’amor . Victoria l’admire et souhaiterait prendre des leçons avec lui tous les jours.
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