Victoria
à son avantage. Prince allemand à peine sorti de son romantique château de Rosenau, où il a reçu une éducation très luthérienne, Albert aime se lever tôt plus que se coucher tard. Il préfère l’étude et la Wanderung en forêt aux tourbillons assommants et futiles des soirées de gala. Victoria découvre qu’ils ont en commun une passion pour la musique et le dessin. Ils passent de longs moments ensemble, assis côte à côte sur un sofa, à comparer sagement leurs croquis. Ils jouent du piano à quatre mains. Albert partage les leçons de chant de Victoria avec Luigi Lablache, qu’ils vont écouter à l’Opéra dans Marino Faliero .
« Très chers, très aimés cousins, confie-t-elle à son journal, j’aime l’opéra deux fois plus avec eux que toute seule. »
Bien que se sachant tous deux destinés l’un à l’autre, Victoria et Albert n’échangent évidemment pas le moindre mot sur ce sujet. Ils apprennent à se connaître, chacun tendant l’oreille pour tenter de jauger, au-delà des apparences, le caractère de l’autre. Victoria ne se livre guère. Elle pense que ses cousins sont fort beaux, même si Albert est encore un peu poupon, et « très intelligents, naturellement intelligents, particulièrement Albert ». Elle trouve en somme que ce sont de bien grands garçons, qui n’ont peut-être pas tout à fait la même maturité qu’elle.
Elle écoute Albert lui dire qu’il est question qu’il poursuive ses études, avec son frère, à Bonn ou à Bruxelles, avant d’aller parfaire son éducation à Rome et à Florence. Elle apprécie cette façon qu’il a d’être à la fois très sérieux et plein de joie de vivre. Il aime rire, ses plaisanteries sont toujours fines et drôles, et puis il a une manière si amusante de jouer avec Dash.
Au Jardin zoologique, Victoria admire les girafes, offertes autrefois au roi George IV par le sultan Méhémet-Ali. Elles ont de « beaux grands yeux noirs et très bon caractère ».
Pour l’instant, rien ne l’engage. Elle est contente d’avoir rencontré Albert. C’est avec plaisir qu’elle le reverra dans quelques années. La saison des prétendants s’achève sans que rien n’ait véritablement changé pour elle. Avant même que ses cousins ne repartent, elle écrit à Léopold une lettre de courtoisie, en pesant bien ses mots.
« Je dois vous remercier, mon oncle bien-aimé, pour la promesse de grand bonheur que vous avez contribué à me faire en la personne de ce cher Albert. Permettez-moi donc, mon très cher oncle, de vous dire combien j’en suis ravie et combien je l’apprécie en tous points. Il possède toutes les qualités qui pourraient être désirées pour me rendre parfaitement heureuse. Il est si sensible, si gentil, si bon et si aimable aussi. Il a, de plus, le plus plaisant aspect extérieur et la plus charmante apparence qui se puisse voir. »
9
Vers 10 heures du soir, le 21 août 1836, le roi Guillaume arrive enfin au château de Windsor, où une centaine d’invités l’attendent pour son banquet d’anniversaire. Il est d’une humeur exécrable. Ses cheveux blancs frisés semblent plus hérissés que d’ordinaire, ses yeux plus ronds. Il avance vers Victoria et lui prend les deux mains dans les siennes qui tremblent.
« Je suis heureux de vous voir ici, lui dit-il doucement, et je regrette bien de ne pas vous voir plus souvent. »
Puis il s’incline devant la duchesse de Kent et l’apostrophe sur un tout autre ton.
« Une liberté des plus inexcusables a été prise avec l’un de mes palais. Je reviens tout juste de Kensington, où j’ai vu que des appartements ont été accaparés, non seulement sans mon consentement, mais contrairement à mes commandements. Je ne comprends pas, ni n’admets, un tel manque de respect. »
La force de cette apostrophe, faite pour être entendue de tous, a plongé un instant les convives dans un silence gêné. Déjà les conversations reprennent et la grande salle bourdonne comme si rien ne s’était passé. Les sautes d’humeur du souverain ont depuis longtemps cessé d’étonner la cour. Pendant tout le dîner, la duchesse et le roi Guillaume, assis côte à côte, n’échangent pas un mot. Le moment venu, à la demande de la reine Adélaïde, on porte un toast « à la santé de Sa Majesté, longue vie au roi » ! Guillaume se lève et, très agité, se lance dans une impétueuse diatribe.
« Je m’en remets à Dieu pour que ma
Weitere Kostenlose Bücher