Victoria
n’a que sept ans de plus qu’elle. Fille du roi des Français, elle rayonne d’une élégance toute parisienne.
« Vous pouvez être tout à fait à l’aise avec moi, déclare-t-elle à Victoria en lui prenant affectueusement le bras : il faut me considérer comme une sorte de grande sœur. »
Puisque la princesse admire sa nouvelle façon d’arranger ses cheveux, elle la confie sans tarder à son coiffeur, pour qu’il lui fasse les mêmes boucles anglaises volumineuses ornées de rubans, la même raie au milieu, le même chignon derrière la tête. Elle lui offre quelques articles de son impressionnante garde-robe. Victoria lui montre ses dessins.
« Elle est vraiment tout à fait charmante . Je l’aime très chèrement . »
À deux reprises, son oncle Léopold lui rend visite dans sa chambre. Il reste à chaque fois moins d’une heure, comme si de rien n’était. En tête à tête, à l’écart des oreilles indiscrètes, il lui donne des conseils. Victoria sera majeure dans quelques mois. Léopold, en fin diplomate, sait admirablement se tenir informé, dans la plus grande circonspection. Bien qu’il ne soit pas lui-même revenu du continent depuis des années, il n’ignore aucun détail des pressions dont sa nièce fait l’objet. Elle saura garder pour elle ses recommandations. La dernière des choses à faire, évidemment, serait bien de les confier à son journal, où les soulignements affirment de plus en plus sa fermeté d’âme, pour elle-même et aux yeux de qui le lira.
« J’ai eu avec lui une conversation très importante et très utile . Il m’a donné de très bons conseils et de très précieux . »
La tante et la nièce, qui se ressemblent comme deux sœurs, passent des soirées à faire des parties de jeu de dames. Victoria remarque avec plaisir que son oncle Léopold et le prince de Nemours, frère de Louise, viennent au salon en même temps qu’elles, dédaignant cette fâcheuse habitude qu’ont les messieurs de rester à table pour boire et fumer entre eux.
Certes, Louise, fille de Louis-Philippe, est une princesse catholique. Mais Victoria n’a aucun des préjugés de certains Anglais contre cette religion. La présence de son adorable tante à ses côtés lui rend tout à fait odieux, par contraste, un prêche sectaire qu’elle est contrainte de subir à l’office du dimanche : « De toute ma vie je n’ai jamais entendu pareil sermon. C’était d’un bout à l’autre contre la religion catholique romaine. C’était une affaire des plus impies et des plus antichrétiennes. J’en ai été tout à fait choquée et cela m’a fait honte. »
S’il se peut qu’elle l’ignore encore, un tel discours a des résonances politiques. L’émancipation des catholiques au Royaume-Uni, acquise depuis une loi de 1829, y est sans doute bien moins directement visée que les visiteurs de la princesse eux-mêmes. Car Léopold n’était pas sitôt devenu roi des Belges que le très protestant roi Guillaume I er des Pays-Bas, prince d’Orange, avait tenté une fois encore de s’emparer de la Belgique par les armes. Les forces néerlandaises n’ont été stoppées que grâce à l’aide de la France. Les Pays-Bas refusant toujours de ratifier le traité des XXIV articles, qui garantit l’indépendance et la neutralité de la Belgique, les deux nations demeurent en état d’armistice indéfiniment prolongé. Le mariage de Léopold avec Louise est avant tout une alliance politique du roi des Belges avec celui des Français qui, à bien des égards, ravive de vieux antagonismes européens.
En revenant de Douvres, où Victoria a raccompagné les visiteurs et pris congé d’eux à bord de leur navire, elle est soudain terriblement indisposée. Dernièrement, elle n’a pas cessé d’être souffrante, particulièrement depuis le voyage à York au mois de septembre. Des nausées lui font perdre l’appétit. Elle a toujours des migraines et mal au dos. Elle éprouve des raideurs, comme si une sorte de paralysie allait la gagner.
Mme de Kent et Conroy n’y voient que simagrées d’enfant capricieuse et gâtée. Ils sont convaincus que la princesse simule ces indispositions pour se donner des prétextes à ne pas faire ce qu’on lui dit. La contrariété occasionnée par le départ de son oncle et sa tante l’aura un peu perturbée. Pourtant, il faut se rendre à l’évidence, elle ne va vraiment pas bien. Hélas ! le Dr Clark est à Londres ; quand
Weitere Kostenlose Bücher