Victoria
enfants et petits-enfants, qui accédèrent à divers trônes européens, sont les personnages d’un roman aux ramifications innombrables. Un seul ouvrage ne peut évidemment pas suffire pour rendre entièrement justice à ce monde complexe. Pourtant, quelle belle histoire que celle de Victoria ! Ce livre prend le parti de la raconter en empruntant les formes de la fiction, mais en pariant que la réalité est plus passionnante que l’imagination. Tous les faits rapportés ont donc été vérifiés avec les méthodes de la recherche scientifique. Les dialogues eux-mêmes sont authentiques. Les moindres détails, de la couleur des vêtements aux indications météorologiques, ont fait l’objet d’un scrupuleux souci d’exactitude. Naturellement, la condensation des événements et circonstances historiques en un seul volume impose des choix et des interprétations qui les infléchissent nécessairement. Néanmoins, ce récit ne se fixe pas d’autre but que celui de la sincérité. Il se refuse à prendre parti ou à formuler des jugements, préférant laisser au lecteur le soin de se faire lui-même sa propre opinion.
Les épisodes sont relatés dans leur ordre chronologique, sans jamais être appréciés à la lumière de faits ultérieurs, pour tenter de comprendre comme de l’intérieur l’état d’esprit du moment. Dans une perspective comparable, bien que les sources soient nombreuses, la priorité est donnée aux textes de première main. Le journal et la correspondance de Victoria sont mis au premier plan, de manière à narrer son histoire d’un point de vue le plus proche possible du sien au moment où elle la vit. Ce procédé rencontre toutefois certaines limites. Par exemple, il est notoire que le journal de Sa Majesté fut recopié après sa mort, à sa demande, par sa fille Béatrice, qui a délibérément occulté certains passages avant de brûler les originaux. La perte de ces documents reste irréparable. Les raisons pour lesquelles la reine a voulu cela devront demeurer à jamais du domaine de la spéculation. Victoria se connaissait une part d’ombre et elle a choisi de disparaître avec ses secrets.
Première partie
1
Un cortège d’une dizaine de voitures se hâte vers l’Angleterre avec une infinie prudence. Les chevaux vont au pas. Un soleil printanier, de jour en jour plus vif en ce mois d’avril 1819, fleurit les routes d’Allemagne et les anime de chants d’oiseaux.
Victoire, princesse de Leiningen, princesse douairière d’Amorbach et duchesse de Kent en secondes noces, est enceinte de huit mois. Il serait préférable que l’enfant qu’elle porte naisse au Royaume-Uni, puisqu’il pourrait un jour en hériter le trône. Edward, duc de Kent, n’en doute pas. Il conduit lui-même le phaéton, une voiture ouverte à deux chevaux, dont la caisse d’osier à deux places est très souplement suspendue sur un châssis de quatre roues. Sa petite épouse ronde, engoncée dans sa tenue de voyage, est étroitement calée sur la banquette à côté de lui.
Ils sont suivis par les gouvernantes allemandes et servantes anglaises dans le landau de la duchesse. Viennent ensuite, voyageant face à face dans la calèche-barouche du duc, la baronne de Späth, dame de compagnie de Victoire, avec Frau Charlotte von Siebold, obstétricienne diplômée de l’université de Gottingue, exerçant la médecine sous le nom de Dr Heidenreich. La dormeuse de la duchesse roule à vide, pour lui servir de refuge en cas d’intempérie, et transporte son lit. Dans la chaise de poste se trouve sa fille de 11 ans, la princesse Feodora de Leiningen, avec sa gouvernante, ses deux petits chiens et ses canaris dans leurs cages. Puis viennent les cuisiniers dans le cabriolet, l’argenterie dans la caravane sous la garde d’un serviteur. Une autre paire de chevaux est attelée à un deuxième phaéton bas, construit tout exprès à Bruxelles pour le cas où l’état de la duchesse la contraindrait de voyager couchée. Suivent encore les deux valets dans le premier gig, le secrétaire avec un laquais dans le second. Le Dr Wilson, médecin personnel de monsieur le duc, ferme la marche dans le carrick.
Partis d’Amorbach dans les derniers jours de mars, ils sont passés par Darmstadt, Francfort, Cologne, et se dirigent vers Calais. Sept cents kilomètres, à raison d’une quarantaine par jour : à l’ennui du voyage s’ajoute la difficulté de trouver à loger chaque soir un si nombreux
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