Victoria
quelque éducation. C’est le « gamin Jones », le fils d’un tailleur. Les gardes découvrent son butin : une épée, des vêtements… Il affirme vivre au palais depuis un mois, se cachant dans les cheminées, chapardant de la nourriture dans les communs, errant la nuit dans les appartements. Il prétend avoir vu la reine et ses ministres, dissimulé sous une table, et entendu tout ce qui se disait. Le « gamin Jones », estimé fou, est simplement relâché.
L’incident ne fait qu’ajouter à l’étrangeté de ce climat d’ébullition. Sa Majesté elle-même n’est pas exempte de critiques. On lui reproche d’avoir ouvert la session parlementaire en personne, si tôt après la mort de sa tante Elizabeth, troisième fille de George III, landgravine de Hesse-Homburg. Dans son discours du trône, Victoria n’a pas non plus prononcé le mot « protestant » en évoquant le prince ; l’aurait-elle fait que les députés catholiques d’Irlande auraient pu en prendre ombrage. Quoi qu’il en soit, un débat sur ce sujet s’engage au Parlement, qui ne fait rien pour prédisposer ses membres en faveur du prince Albert.
C’est dans ce contexte que les tories, faisant une fois de plus front commun avec les radicaux, proposent une résolution réduisant l’annuité de l’époux de la reine à 30 000 livres au lieu de 50 000. Sir Robert Peel soutient cette motion. Toutefois, soucieux de ne pas paraître trop rancunier, il recommande qu’en cas de décès de la souveraine, si le prince se retrouvait avec une famille à élever, son subside annuel soit porté à 50 000 livres, le même que recevait en son temps Léopold.
Lord John Russel, leader des whigs aux Communes, surnommé « Little Johnny » en raison de sa petite taille, perd son sang-froid et couvre Peel d’injures. Mr Joseph Hume, député radical, provoque l’hilarité de la Chambre en ironisant sur le fait que Lord Russel avait initialement proposé la somme la plus haute :
« Le noble lord sait-il les dangers qu’il y a à installer un jeune homme à Londres avec autant d’argent de poche ? »
La reine fulmine. Elle n’est pas surprise que Peel, « le misérable scélérat », ait parlé et voté contre les 50 000 livres. Elle considère cela comme une insulte personnelle.
« Aussi longtemps que je vivrai, je ne pardonnerai jamais à ces infernales fripouilles, avec Peel à leur tête, pour cet acte de rancune personnelle ! »
Que le protestantisme d’Albert soit mis en cause l’exaspère au plus haut point. Elle est offensée que l’on suppose implicitement son ignorance de l’Acte d’établissement. Qu’à cela ne tienne : puisqu’il faut en finir, le duc de Wellington accole l’adjectif « protestant » au mot « prince » dans le texte de son discours, et fait voter l’amendement, contre l’avis du gouvernement.
Les tracasseries continuent à propos de la place du prince dans l’ordre de préséance. La reine souhaite qu’il ait un rang immédiatement inférieur au sien. Or la naturalisation d’Albert ne peut être obtenue qu’à condition qu’il cède le pas à vie aux princes de sang royal, les ducs de Cambridge et le roi de Hanovre : ces derniers l’exigent. Le roi de Hanovre, duc de Cumberland avant l’accession de Victoria, se rend particulièrement désagréable et profite de l’occasion pour pousser le feu de ses griefs. Il refuse à la reine l’usage traditionnel des chevaux « crème et noir » des écuries de Hanovre, dénie à la duchesse de Kent le droit d’occuper ses appartements à St James, et réclame sa part des joyaux de la Couronne.
Un climat de harcèlement pèse sur la cour. Le prochain mariage de la reine entraîne des tiraillements, dont l’épicentre est le rôle futur du prince dans le jeu du pouvoir. Il n’est pas jusqu’à Léopold qui ne se montre jaloux de son influence sur sa nièce : « J’ai reçu aujourd’hui une lettre bien malgracieuse d’oncle Léopold. Il paraît piqué que je ne lui demande plus son avis, mais mon cher oncle a la manie de penser qu’il doit faire la loi partout. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas nécessaire. »
Victoria est la souveraine du Royaume-Uni. Elle n’entend pas permettre à qui que ce soit de l’oublier, pas même à son fiancé. Il lui faut donc expliquer à Albert par courrier une situation qui n’a pas que des raisons de l’enchanter. Le prince voudrait qu’ils correspondent en
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