Victoria
de précédent au mariage d’une reine régnante. L’exemple à suivre sera donc celui de la reine Charlotte avec George III, au grand dam de Victoria, qui déteste la chapelle royale de St James.
La date est arrêtée au 10 février 1840. Le baron Stockmar est venu à Londres tout exprès pour négocier avec Lord Palmerston le traité de mariage.
Les fiancés n’ont pour l’heure pas d’autre préoccupation que de savourer leur bonheur. Ils s’embrassent sans fin en toute occasion. Elle s’abîme avec délectation dans les enjôleurs yeux bleus de son ange, reste de longs moments, la joue posée contre sa joue fraîche comme une rose. Il s’émerveille de la petitesse de ses mains, si petites qu’il douterait presque que ce soient bien des mains.
« Oh ! quelle bénédiction, quel bonheur, de penser qu’il est réellement à moi ! »
Pour autant, les affaires n’attendent pas. Les boîtes rouges ouvertes sur sa table de travail, Victoria lit les dépêches qu’elles contiennent, signe des arrêtés, rédige des courriers. Albert a la gentillesse de sécher son encre au buvard, corrigeant de temps à autre quelque faute.
La reine amoureuse ne prête qu’une attention fort distraite aux événements qui émeuvent le pays. En novembre 1839, les chartistes préoccupent l’opinion davantage que les fiançailles de la souveraine. L’un d’eux, John Frost, tente de libérer par les armes Henry Vincent, emprisonné à Newport. La troupe riposte, tuant et blessant plusieurs insurgés. Les meneurs sont arrêtés, Frost, Vincent et Zephaniah Williams, jugés pour haute trahison, sont condamnés à mort ; leur peine sera commuée en déportation à vie. Le mouvement semble décapité, mais la misère des classes laborieuses reste intacte et leur mécontentement grandit. Le pays bouillonne d’une agitation sociale dont le chartisme est une première tentative d’organisation. Le public, inquiet, est d’humeur malcommode.
Sur des airs de Chopin qu’Ernest joue au piano, Albert apprend la valse à Victoria. Il lui a donné une épingle turquoise ayant appartenu à sa mère et une boucle de ses cheveux. Elle lui a offert une bague où elle a fait graver la date de leurs fiançailles, le 15 octobre 1839, et un petit sceau qu’elle portait toujours sur elle.
La reine a annoncé la nouvelle à Maman. La duchesse de Kent, décidément toujours égale à elle-même, tente de tirer profit de ce moment d’émotion. Elle demande que son ami Lord Dunfermline soit nommé secrétaire particulier du prince. Elle insiste pour continuer de résider à Buckingham Palace après leur mariage.
« Nous sommes bien d’accord qu’il n’en sera jamais question. »
Déjà, le prince doit repartir pour Cobourg. La séparation ne va pas sans larmes, qui en pareille circonstance sont le gage d’un amour sincère. Albert promet qu’il enverra à Victoria les croquis du voyage qu’il doit faire à Florence avec Stockmar.
Quelques jours auparavant, la reine a reçu les Cambridge et leur fils George, que le roi Guillaume IV avait autrefois souhaité la voir épouser. La comparaison n’est pas à l’avantage de George : « Sa peau est dans un état choquant. »
Victoria, arborant un bracelet auquel est accroché un portrait miniature d’Albert, informe le Conseil privé de son prochain mariage. Sa déclaration ne comporte pas la formule consacrée, stipulant qu’elle se marie « dans une famille protestante », pour la raison que plusieurs branches de la famille de Cobourg sont catholiques. Il n’en faut pas plus pour qu’une rumeur coure sur le prétendu catholicisme d’Albert. Si le fait était avéré, le mariage contreviendrait à l’Acte d’établissement de 1701, qui bannit du trône britannique quiconque prend un conjoint catholique.
Cet écho sert la cause de ceux qui ne sont pas favorables à cette union. Ce sont les mêmes, à n’en pas douter, qui n’ont cessé de souligner les attaches catholiques de Léopold, époux de Louise-Marie d’Orléans. Les espoirs de voir Victoria se marier avec un prince d’Orange sont désormais bien minces. Concrètement, cette rumeur hostile a pour effet de saper sans attendre le pouvoir et l’influence que pourra prendre le consort de la souveraine.
En décembre, à Buckingham Palace, les gens de maison ont attrapé un garçon tout mâchuré de suie, comme un petit ramoneur. Il a 16 ans, mais en paraît 13, et semble avoir reçu
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