Victoria
participer au dîner.
« Allez donc savoir, commente Lord Melbourne, dans quelle tenue je paraîtrais, si l’on me laissait faire… »
Exceptionnellement, les jeunes gens sont autorisés à venir au salon pour « débuter », malgré leur « négligé ». Victoria s’assied sur un divan, entre Melbourne et Ernest, tandis qu’Albert prend place en face.
« Lord Melbourne, pensez-vous qu’Albert me ressemble, comme on le pense (et ce qui est un immense compliment pour moi) ? s’enquiert-elle ingénument.
— Oh oui, dit le Premier ministre, cela m’a frappé tout de suite. »
Les jours passent en conversations polies. Victoria et Albert repassent les mêmes scènes que trois ans auparavant. Ils jouent du piano à quatre mains, examinent leurs dessins, dansent un peu, bien que son rang ne permette toujours pas au prince Albert de valser avec Sa Majesté. Derrière une fenêtre close, la reine regarde d’en haut son cousin s’ébattre dans le parc avec Eos, son lévrier noir panaché de blanc.
« Albert est vraiment tout à fait charmant, confie Victoria à son journal, et si excessivement bien fait, avec de si beaux yeux bleus, un nez exquis, et une si jolie bouche avec de délicates moustaches et de légers, mais très légers favoris : une belle silhouette, large d’épaules, et la taille fine. Mon cœur est tout à fait pris. »
Le soir, à la veillée, les conversations sont peu animées. Victoria et Albert font sur un échiquier des parties de « Renard et les poules ». Eos, le lévrier du prince, qui porte le nom de la déesse de l’aube, bâille.
Dans le salon Bleu, les entrevues de la reine avec son Premier ministre sont songeuses, souvent interrompues de longs silences.
« Je me suis décidée, lui dit-elle enfin.
— Vraiment ? Bien, alors, à quelle date, dites-vous ?
— Pas avant un an, je pense.
— Oh ! c’est beaucoup trop long. Le Parlement doit se réunir pour prendre des dispositions à son sujet. De plus, si c’est décidé, il ne faut pas qu’on en parle, pour prévenir toute objection, bien que je ne pense pas qu’il y en ait beaucoup, bien au contraire. »
Lord Melbourne s’interrompt, puis reprend, les larmes aux yeux : « Je pense que ce sera très bien reçu, car j’entends dire qu’il y a maintenant un grand désir que cela se fasse. Et j’en suis très content. Je pense que vous serez beaucoup plus à l’aise, car une femme ne peut pas se maintenir seule longtemps, quelle que soit sa position. »
Lord Melbourne se tait, faisant effort sur lui-même pour contenir son émotion.
« Pensez-vous, dit Victoria, que je ferais mieux d’informer Albert de ma décision sans tarder ?
— Certainement.
— Mais comment ? En général, ces choses se font dans l’autre sens ! »
Melbourne passe des larmes au rire.
Le 15 octobre 1939, par l’intermédiaire de la baronne Lehzen, Victoria convoque le prince Albert à midi et demi. Elle l’attend seule au salon Bleu, le prie de s’asseoir sur un sofa auprès d’elle.
« Je pense que tu dois savoir pourquoi j’ai souhaité que tu viennes ici, et je serais trop heureuse que tu consentes à ce que je souhaite. »
Ils sont émus, il ose la prendre dans ses bras, et ils se tiennent longtemps embrassés.
« Je suis tout à fait indigne de toi, lui dit-elle en lui baisant la main.
— Je serais trop heureux de partager la vie avec toi, répond le prince en allemand ( das Leben mit dir zu zubringen ).
— Je ferai tout ce que je pourrai, déclare Sa Majesté sur un ton soudain plus grave, pour te faire sentir le moins possible le grand sacrifice que tu viens de faire. »
17
Le 1 er novembre, Victoria passe les troupes en revue, sur son cheval Léopold, en uniforme de Windsor bleu et rouge. Le prince Albert chevauche à côté d’elle, en grande tenue. De violentes bourrasques de vent, ébouriffant la crinière des casques, font osciller les silhouettes au garde-à-vous. La pluie ruisselle des couvre-chefs, assombrit les étoffes et les robes des montures, colle le pantalon de cachemire moulant sur les jambes du prince qui frissonne.
« Quel temps atroce ! »
Transi, mais heureux, Albert passe de longs instants avec Victoria, assis sur un sofa, examinant des descriptifs des cérémonies de mariage des reines d’Angleterre. Pour Mary Tudor, le rituel était catholique. Anne et Mary II étaient encore princesses au moment de leurs noces. Il n’y a pas
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