Victoria
griser. »
Dans l’impatience, l’agitation de Victoria a été telle qu’elle s’est sentie mal. Dès qu’elle revoit le « cher, cher visage » d’Albert, toutes ses anxiétés s’apaisent dans le bonheur retrouvé.
Ils échangent des cadeaux de mariage. Albert offre à Victoria un grand saphir monté en broche. Elle lui remet un badge de la Jarretière dont l’étoile est en diamants.
Devant le Lord Chancelier, le prince Albert prête son serment de naturalisation.
« C’est la dernière nuit que je dors seule. »
Albert s’installe à Buckingham Palace avant la noce, au mépris de l’étiquette et des règles de bienséance. Quand on le fait remarquer à la reine, elle hausse les épaules.
« Balivernes ! »
18
Il pleut à verse. De violentes bourrasques de vent projettent une pluie battante, faisant à peine osciller les cuirassiers immobiles sur leurs montures dans la cour du palais St James. Tout aussi indifférents à l’intempérie, les yeomen de la Garde, tout de rouge vêtus, sont impassibles, lance au pied, dans leurs longs habits écarlates aux passementeries d’or, brodés des initiales VR. L’eau détrempe leurs chapeaux plats et leurs souliers noirs ornés de rosettes rouge et blanc. Une foule dense se masse dans le parc et sur le Mall. C’est la première fois qu’un mariage royal ne se célèbre pas dans la stricte intimité familiale, mais donne lieu à une célébration publique. La reine semble tenir à bousculer la tradition : elle a écrit au marié dès son réveil, puis a passé un moment avec lui avant la cérémonie.
Vers 13 heures, Victoria quitte enfin la salle du Trône, et s’avance lentement vers celle de la Reine-Anne. Elle est vêtue d’une robe de satin blanc assez simple, dont les manches bouffantes très courtes laissent voir ses bras nus. Elle porte le collier de l’ordre de la Jarretière et le saphir que lui a offert le prince, avec un volumineux volant de dentelle de Honiton imitée de l’antique. Le patron de la robe a été détruit aussitôt pour prévenir toute copie. Elle a voulu être la première à se marier en blanc : l’effet saisissant de cette symbolique candeur lance la mode en Europe et en Amérique. Dans ses cheveux brillent quelques diamants. Son voile est accroché à une couronne de fleurs d’oranger, les mêmes qui ornent sa robe et forment son bouquet.
Sa traîne est un peu courte pour les douze demoiselles d’honneur, qui la suivent en sautillant pour ne pas trébucher sur les talons les unes des autres. Elle a dessiné elle-même leur robe. Le prince souhaitait qu’elles eussent toutes des mères réputées sans reproche. La vie étant ce qu’elle est, cela demeure un vœu pieux.
La procession entre dans la chapelle. Devant l’autel, le prince Albert attend, en uniforme de Field-Marshal de l’armée britannique. Pantalon blanc moulant, grandes bottes noires montant au-dessus des genoux, frac rouge à longues basques, avec fourragère et ceinture dorée. Il porte l’écharpe bleue et l’étoile en diamants de la Jarretière, tenant de la main gauche, gantée de blanc, contre le fourreau du sabre, le bicorne orné d’un casoar. On entend les chuchotements de la reine douairière Adélaïde, qui lui montre les passages convenus dans le livre de prières.
Victoria est conduite à l’autel par son oncle, le duc de Sussex, en grande tenue et coiffé de son habituelle toque noire. Le Premier ministre brandit l’épée de cérémonie.
Parmi les invités ne se trouvent que deux pairs tories. Encore a-t-il fallu beaucoup parlementer pour convaincre Sa Majesté de ne pas les exclure tout à fait.
« C’est MON mariage et je ne veux que de ceux qui peuvent sympathiser avec moi. » Melbourne est toutefois parvenu à lui faire admettre que cela serait fort impolitique. Elle a consenti à convier le duc de Wellington et Lord Liverpool.
Victoria est très pâle. Ses yeux sont rouges, mais elle ne pleure pas. Elle tremble d’émotion contenue, d’un tressaillement continu et irrépressible. Ainsi le corps vacille et le cœur s’émeut, néanmoins l’esprit reste froid, ne cédant rien de sa prérogative de porter sur les circonstances une appréciation sévère. Par exemple, tandis qu’elle remonte lentement la nef, elle trouve que les enfants de chœur de la Chapelle royale chantent mal. Elle le notera dans son journal, d’un mot que l’orthographe allemande rend plus intense : « schocking !
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