Victoria
de bureau verte et commence avec une application à toute épreuve sa longue journée de travail. Droit, philosophie politique, histoire, sciences et techniques, esthétique : tout y passe. Il a dans les principaux domaines de la connaissance des compétences avancées.
Il est un peu moins intéressé par les activités physiques. Comme un prince se doit d’être un guerrier, il est aussi un gymnaste et un cavalier accompli, avec un talent particulier pour l’escrime. Excellent danseur, il a un faible pour le patinage sur glace.
Pour toutes ces raisons, Albert est un prince très distingué, qui a les défauts de ses qualités. La charge de travail qu’il s’impose quotidiennement renforce chez lui le goût des récréations drolatiques ; il sait se faire apprécier par ses imitations et autres plaisanteries de bon aloi. Mais, en fin de journée, le sommeil l’accable. Le surmenage le rend quelquefois irascible, et son refus de se ménager n’améliore en rien sa santé fragile.
Au cours de l’hiver précédant sa seconde venue à Londres, il a voyagé en Italie avec Stockmar, pour peaufiner ses manières mondaines. Si quelques Italiennes ont chaviré devant sa silhouette bien faite, sa ténébreuse beauté tudesque et l’irrésistible tendresse romantique de ses yeux bleus, il n’a jamais rien voulu en savoir. « Voilà un prince dont nous pouvons être fiers, a dit un jour le grand-duc de Toscane, la belle danseuse l’attend, le savant l’occupe. »
Albert est si peu attiré par les femmes que, depuis l’enfance, il les fuit. Certains voient dans sa sainte horreur de tout libertinage une opposition au caractère notoirement dissolu et dépensier de son père. Peut-être aussi cela tient-il au fait que sa mère, Louise de Saxe-Gotha-Altenbourg, fut chassée de la cour pour ses infidélités conjugales lorsqu’il n’avait que 6 ans. Il ne l’a jamais revue jusqu’à sa mort en 1831. D’autres encore lui ont supposé des sentiments bizarres et contre-nature pour son précepteur Florschütz.
Quoi qu’il en soit, le mariage qu’il espère avec la reine d’Angleterre est pour lui, avant tout, une carrière. D’ailleurs, il s’impatiente un peu, même si la main de Victoria vaut sans aucun doute qu’il ait dû attendre trois ans. Il confie à Léopold sa crainte que, s’il devait essuyer un nouveau refus, cela ne le mette dans une situation ridicule, et qui compromettrait son avenir. C’est donc avec une certaine inquiétude qu’Albert s’embarque pour une autre traversée de la Manche, rendue pénible par le mauvais temps.
Début octobre, après une nuit agitée, Victoria découvre en se levant que les vitres de son cabinet de toilette et de trois pièces attenantes ont volé en éclats. Les pierres sont parmi les débris de verre qui jonchent les parquets. Les gardes se sont emparés d’un homme, qui n’avait pas l’air tout à fait dans un état normal. Victoria ne se donne même pas la peine de hausser les épaules et oublie aussitôt l’incident. Elle s’impatiente : ses cousins se font étonnamment attendre.
« Je pense qu’ils ne montrent pas beaucoup d’ empressement à venir ici, ce que je trouve plutôt choquant. »
Bien que vraisemblablement elle l’ignore, la nouvelle de l’arrivée d’Albert et la perspective de son prochain mariage ne vont pas sans exciter les esprits sensibles. Certains journaux satiriques ne se privent pas de publier des pamphlets d’un humour graveleux et parfois agressivement grossier. Inversement, dans les « Livres de Beauté », luxueux magazines illustrés à 12 shillings pièce, Victoria est flatteusement représentée en idéal de beauté.
Au château de Windsor, Victoria paraît au sommet du tapis rouge qui recouvre les marches du grand escalier, en robe de satin rose, un diadème dans ses cheveux relevés. De part et d’autre de la reine, deux rutilantes armures à cheval se font face. Sous les hautes ogives gothiques, lances, hallebardes, drapeaux et armes anciennes ornent les murs. Elle regarde monter ses cousins, Ernest et Albert, en costumes de voyage un peu fripés, le visage encore blême après leur traversée mouvementée. Elle les trouve changés. Ils ont grandi et sont devenus plus beaux, Albert surtout. En le revoyant, l’émotion la saisit. Elle les accueille, les embrasse et les conduit à Maman. Leurs malles n’ayant pas pu suivre, ils n’ont pas de vêtements de cour, et ne pourront donc pas
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