Victoria
n’hésite pas à dire sans sourire que le prince Albert est manifestement d’un genre très apprécié dans les universités allemandes, mais que l’on trouve « des plus ridicules dans les nôtres ».
Victoria veut demander au Parlement qu’Albert soit fait roi consort.
« Pour l’amour de Dieu, n’en parlons plus, Ma’am , lui dit Melbourne, car si vous donnez une seule fois au peuple anglais l’occasion de faire des rois, vous le mettrez en état de les défaire. »
À Windsor, un homme a escaladé les grilles du château et se présente à l’entrée principale. Très dignement, il se fait connaître comme roi d’Angleterre et demande à être conduit à la reine, pour l’épouser. Avec la plus grande déférence, la garde l’accompagne et s’en va, en claquant des semelles, le mettre poliment dehors.
Sir Charles Grey et le jeune vicomte Torrington ont quitté Buckingham Palace avec trois voitures, pour aller chercher le prince Albert à Gotha. Ils sont porteurs de l’ordre de la Jarretière et de lettres patentes de Victoria, pour que la distinction soit conférée au prince en son nom. Le prince Ernest, père d’Albert, et le prince Charles de Leiningen, demi-frère de la reine, sont tous deux chevaliers de la Jarretière : le premier intronisera Albert et le second attachera le ruban. À Cobourg, l’annonce du mariage du prince a soulevé un tel enthousiasme que des coups de feu ont été tirés en l’air. Dans les fêtes au cours desquelles Son Altesse Sérénissime fait ses adieux au pays, la fierté se mêle à la mélancolie.
À Londres, Victoria évoque avec Lord Melbourne les changements que le mariage va nécessairement entraîner dans sa vie de reine. Il n’y a pas si longtemps, elle souhaitait rester célibataire. Elle ne peut plus désormais que se persuader qu’elle a fait le meilleur choix possible. Quoi qu’il en soit, elle se félicite de faire un mariage d’amour.
À ce propos, elle reparle du très récent mariage du vicomte Palmerston avec Emily Lamb, Lady Cowper, qui est la sœur de Lord Melbourne. Chose peu banale, ils ne sont plus, ni l’un ni l’autre, dans leur prime jeunesse, puisqu’il a 55 ans et elle 52. Lady Emily est l’une de ces grandes dames whigs, depuis longtemps la maîtresse de « Cupidon ». Elle est d’ailleurs pour beaucoup dans la conversion au whiggisme de Palmerston, qui avait commencé sa carrière politique avec les tories. Après la mort de Lord Cowper, les amants ont voulu sanctifier leur union par un mariage tardif fort romantique, mais qui suscite des commentaires.
Victoria se félicite qu’Albert ne soit pas du tout ce genre d’homme. La mère du prince était une de ces « mauvaises femmes ». Son père, dit-on, n’est pas meilleur de ce point de vue, et son frère Ernest semble faire tout ce qu’il peut pour suivre l’exemple paternel. Albert a la réputation de n’être pas du tout comme cela. On ne lui connaît aucune aventure. D’ailleurs, la reine n’aurait pas pu épouser un homme qui eût aimé une autre femme. Elle se félicite qu’Albert ait la plus grande horreur de toute espèce d’infidélité conjugale.
« Non, lui dit le Premier ministre, cette sorte de choses vient généralement plus tard.
— Lord Melbourne ! Je ne vous pardonnerai pas cela ! »
Son Altesse Sérénissime a quitté Gotha en promettant de demeurer toujours un vrai Cobourgeois – « ein treuer Coburger zu bleiben ». Lorsqu’il arrive à Calais, la Manche est tellement démontée, le vent du nord si résolument contraire, que le Firebrand ne peut faire voile vers l’Angleterre. Il faut entreprendre la traversée à bord du bateau à vapeur Ariel , qui met cinq heures et demie à atteindre Douvres. C’est un prince éprouvé par le mal de mer, au teint crayeux, qui est accueilli avec les honneurs militaires par le comte de Cardigan, à la tête du 11 e régiment de dragons légers. Ce corps de troupe, rebaptisé désormais 11 e régiment de hussards du prince Albert, adopte sa devise : « Treu und fest », « Loyal et ferme ».
Tout au long de la route, des foules immenses se sont assemblées pour saluer le beau prince. À Cantorbéry, où il fait étape et entend l’office du soir à la cathédrale, la ville est illuminée, de même que Londres le lendemain. Le peuple britannique ne ménage pas la chaleur de son accueil.
« Prenez garde, lui dit Melbourne, de ne pas vous laisser
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