Victoria
».
Les mariés s’agenouillent devant l’autel et prient un instant en silence. On n’entend que les sanglots étouffés du duc de Sussex et de Lord Fitzwilliam. L’assemblée, nombreuse, bigarrée d’uniformes d’apparat et de robes chatoyantes, contient son émotion.
Quand l’archevêque de Cantorbéry pose au prince Albert la question rituelle, « Voulez-vous prendre cette femme pour épouse ? », la reine se tourne bien franchement vers lui et, levant la tête, le regarde droit dans les yeux.
La signature du registre est quelque peu retardée par le duc de Norfolk, qui, décidément, ne trouve pas ses lunettes. Puis on remarque que Victoria embrasse Adélaïde, mais serre seulement la main de sa mère. Mme de Kent, froissée d’abord que sa préséance n’ait pas été tout à fait respectée, arbore une mine affligée.
Après une cérémonie délibérément simple, les processions retournent à Buckingham Palace sous la pluie toujours battante. Seuls ensemble un instant, assis sur le bord d’un divan, les jeunes mariés échangent leurs alliances et se promettent de n’avoir jamais aucun secret l’un pour l’autre.
Victoria se retire dans sa chambre pour se changer, avant de paraître au déjeuner de noce en robe de soie blanche parée de duvet de cygne.
Quand les époux partent pour Windsor, la pluie a enfin cessé. Un soleil pâle fait briller par intermittence le pavé détrempé. On se souvient du rayon de soleil opportun qui avait illuminé Victoria le jour de son couronnement : « C’est le temps de la reine ! »
Les nouveaux mariés s’en vont, dans une voiture volontairement très ordinaire, menée par des postillons sans livrée. Des cavaliers lèvent leur chapeau sur leur passage et leur emboîtent le pas. Des cabriolets les suivent. Une joyeuse et bruyante escorte improvisée de particuliers les entoure tout au long de la route de Windsor. À partir d’Eton, ils marchent au pas, tandis que les écoliers en queue-de-pie et haut-de-forme les accompagnent jusqu’au château.
Ils vont d’une pièce à l’autre, s’ébattant comme deux enfants. Puis Victoria repart se changer avant de rejoindre Albert. En redingote bleu et rouge de Windsor, il l’attend en jouant du piano. Elle est prise d’un tel mal de tête qu’elle ne peut dîner. Elle s’étend sur un sofa dans la chambre Bleue, tandis qu’Albert, assis à côté d’elle sur un tabouret bas, la rassure longuement.
« Des noms si tendres, que personne ne m’avait encore jamais donnés : quelle incroyable félicité ! »
« Quand le jour s’est levé (car nous n’avons pas beaucoup dormi) et que j’ai vu ce beau visage angélique à mes côtés, c’était plus que je ne puis exprimer ! Il est vraiment si beau, vêtu de sa seule chemise, laissant voir sa belle gorge. »
Le temps de faire lacer son corset, elle le rejoint pour le breakfast. Dans sa veste de velours noir, le col de sa chemise sans cravate est largement ouvert. Il a l’air d’un poète romantique. Elle est fascinée par la beauté si érotique de son cou.
Ils se promènent lentement sur les terrasses, bras dessus bras dessous, bavardant de choses et d’autres. Eos, le lévrier, les accompagne de sa démarche nonchalante.
Albert est fatigué. Il s’allonge dans la chambre de Victoria, qui le regarde.
« Il est si mignon, étendu là, endormi. »
Ce soir-là, Victoria invite une dizaine de personnes à dîner. Albert, encore un peu frêle sur ses jambes, est tout de même assez remis de son émouvante nuit blanche pour chanter quelques Lieder qu’elle accompagne au piano.
La reine a besoin de se divertir. Elle veut des rires et des danses. Dès le lendemain, elle donne au château une immense fête avec un grand bal. Elle adore les quadrilles, dont la musique l’excite « à la folie ». Peu lui importe que la bonne société fronce les sourcils devant cette nouvelle entorse aux convenances.
Faire l’amour avec son « TRÈS CHER, TRÈS CHER Albert » l’enchante.
« Vraiment, comment pourrai-je être jamais assez reconnaissante d’avoir un tel mari ! »
Le bonheur des étreintes se prolonge par des moments de plaisir inouï dans les choses ordinaires de la vie quotidienne qui soudain revêtent un nouvel éclat.
Elle frissonne d’aise et se sent rougir sur tout le corps quand Albert, le matin, lui passe ses bas. La soie roulée enveloppe posément son pied, puis ses longs doigts d’homme étirent et
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