Victoria
lissent très délicatement l’étoffe souple et fine. Ses grandes mains redescendent, l’effleurant à peine, et remontent, serrant plus fort, encerclant son mollet, son genou, sa cuisse, poussant la jarretière à l’extrême limite.
Elle aime le regarder faire sa toilette. Quand il se rase, elle sent son cœur qui frémit. La neige du blaireau rehausse la roseur de ses joues. La lente lame affolante du rasoir crisse et dénude progressivement sa peau douce. Le parfum du savon se mêle à son odeur. Sa chemise grande ouverte laisse voir la base velue de sa gorge.
Puis danser avec lui le galop ! Valser ! Sentir son bras autour de sa taille et sa force qui l’entraîne ! Chavirer dans la musique qui vole et s’abîmer dans les yeux bleus de son ange !
Elle achèvera bientôt le volume 28 de son journal.
« Février 1840 contient le temps le plus heureux et le plus intéressant de ma vie. »
Les trois jours qu’elle a prévus pour leur lune de miel sont écoulés. Il faut rentrer à Buckingham. Elle en avait prévenu Albert dès avant leur mariage : il ne saurait être question de ne pas y retourner.
« C’est aussi mon souhait personnel, de toute façon », conclut Sa Majesté.
Peu importe le qu’en-dira-t-on. Ce grincheux de Greville, le greffier du Conseil, vieux graphomane et incorrigible bavard, peut bien penser qu’une lune de miel aussi brève n’est pas la bonne façon de s’y prendre pour donner un héritier à la couronne. La reine n’en a cure. Les affaires n’attendent pas.
À Buckingham Palace, où l’on vient d’installer l’éclairage au gaz, elle retrouve avec empressement ses boîtes rouges. L’une de ses premières actions est de régler la question du rang de son époux par lettres patentes, forte des conclusions du mémorandum de Greville.
Elle octroie au prince Albert, « en toutes circonstances et dans toutes les manifestations, sauf disposition législative contraire », pour toute la durée de sa vie, « le rang, la prééminence et la préséance suivant immédiatement la reine ». Il passera ainsi devant un éventuel prince de Galles à naître. Le gouvernement a négligé de pourvoir au cas où son époux survivrait à la reine sans enfant. Le prince Albert aura donc également préséance sur le fils du roi de Hanovre, héritier présomptif de la couronne. Ces dispositions ne valant que pour le Royaume-Uni, Victoria espère que les souverains visités lui feront la courtoisie de maintenir le statut qu’elle lui a conféré.
Cela étant, la reine évite soigneusement d’évoquer les affaires d’État avec son mari. « Je suis la souveraine. » Elle entend qu’il se le tienne pour dit. Si elle a naguère voulu faire de lui un roi consort, ce fut une erreur dont elle est vite revenue. Elle garde toujours sur elle l’unique clé des boîtes rouges où sont renfermées les dépêches que lui communiquent ses ministres. Albert est très bien dans le maniement du tampon buvard, et dans son rôle de relecteur d’épreuves. Le prince s’en désole, regrettant que ses compétences demeurent inemployées. « Je suis seulement le mari et non le maître de la maison », se plaint-il à Stockmar.
Victoria ne voulant rien entendre, Albert cherche d’autres appuis. Il écrit au duc de Wellington, dont la grande influence à la cour passe pour indéniable. Mal lui en prend ! S’il avait pu avoir davantage de conversations politiques avec son épouse, il se serait évité un pas de clerc. Wellington aurait fort peu de chances de faire fléchir Victoria, à plus forte raison sur une question aussi essentielle. D’ailleurs, le duc se remet tout juste d’une récente attaque. Le « Duc de fer » n’est pas homme à se laisser facilement abattre, pourtant son état de santé suscite la plus vive inquiétude. Il semble qu’il commence à perdre la mémoire. Si, de l’avis de tous, sa disparition paraît tout simplement inimaginable, sa diminution aurait, à n’en pas douter, des conséquences incalculables.
Albert attribue l’entêtement de Victoria à l’ascendant que la baronne Lehzen exerce toujours sur elle. Ces satanées femmes s’épaulent l’une l’autre et lui tiennent la dragée haute. Qu’elle soit mariée ou non n’y change rien ! Victoria insiste pour que sa chambre continue de communiquer directement avec celle de sa chère Daisy. Le prince estime la situation insupportable, mais c’est ainsi.
Il trouve un soutien auprès de
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