Victoria
son secrétaire particulier, George Anson, qu’il avait d’abord regretté de se voir imposer. Naturellement, Anson a gardé l’oreille de Melbourne, et sert d’informateur privilégié pour le Premier ministre. C’est un état de fait qui peut s’avérer utile dans les deux sens. Par exemple, il fait valoir que la moindre des choses est que le prince ait quelque occasion d’employer avantageusement ses talents. Quoi de plus évident ? On propose donc à Albert la présidence de la Société contre l’esclavage. Il s’applique à composer un discours d’entrée en fonction, qu’il rédige en allemand. Très affectueusement, Sa Majesté elle-même l’aide à le traduire en bon anglais.
Le 21 mars, Victoria n’a plus aucun doute : elle est enceinte.
Elle enrage !
« C’est la SEULE chose que je redoute . »
Deuxième partie
19
Il est 6 heures du soir, ce 10 juin 1840. Victoria et Albert se rendent chez la duchesse de Kent. Ils remontent l’avenue de Constitution Hill, entre les jardins du palais, et Green Park, qui va de Buckingham Palace à Hyde Park Corner. Au bout de cette longue ligne droite bordée de pelouses et de grands arbres s’élève l’Arc de triomphe, le Wellington Arch. Ils roulent dans un phaéton, voiture légère à quatre roues, dont la capote est baissée par cette belle journée de printemps. Ils avancent lentement dans une circulation assez dense. Les passants, qui les reconnaissent, les saluent comme à l’accoutumée.
Victoria tourne la tête pour admirer un cheval. De l’autre côté, à six pas, Albert voit un homme immobile, brandissant dans leur direction un objet, qu’il n’identifie pas tout de suite, et qui soudain crache une flamme.
Surprise par la détonation, Victoria se lève dans la voiture stoppée et fait face au tireur. Il se tient bras croisés, un pistolet dans chaque main. De nouveau, il la vise sans hâte. Le prince se jette sur la reine qui se baisse au moment où le second coup de feu retentit.
Les passants, un instant interloqués, se sont précipités sur l’agresseur qui n’a pas même pu tenter de s’enfuir et le désarment.
« Tu n’es pas blessée ? demande Albert. Comment te sens-tu ? »
Victoria éclate de rire.
Elle est pâle. Ses oreilles sifflent.
« Allez ! dit Albert au conducteur, roulez comme d’habitude. »
Le phaéton reprend sa marche, comme si de rien n’était. Le prince demande que l’on prolonge la promenade dans Hyde Park. L’air fera du bien à la reine. Il importe aussi de montrer au public que l’on continue de lui faire confiance.
Victoria rend visite à « tante Kent », puis revient par le même chemin. Les cavaliers, hommes et femmes, leur improvisent une escorte nombreuse jusqu’au palais. La foule, assemblée dans le parc à la nouvelle de l’attentat, les suit et les acclame. La reine, souriante, les remercie de la main. Le prince lève son chapeau et reçoit les apostrophes bienveillantes avec un signe de tête.
La grossesse de la reine est connue. Victoria, enceinte de quatre mois, fait le rapprochement avec ce premier coup de feu qu’elle avait essuyé à Sidmouth, lorsqu’elle n’était elle-même qu’un bébé de quelques semaines. C’était peu de temps avant la mort de son père, le duc de Kent. Albert admire son sang-froid, son courage. Elle lui rappelle, tout simplement, qu’elle est fille de soldat.
L’individu arrêté par les passants est interrogé. C’est un certain Edward Oxford, fils d’un joaillier mulâtre de Birmingham, qui travaille comme serveur dans une taverne populaire. Taciturne, il ne manifeste aucun sentiment de culpabilité. Fait plus alarmant, ses luxueux pistolets à crosses d’argent portent gravées les initiales « E. R. » : ce pourraient être celles du roi Ernest-Auguste I er de Hanovre, « Ernestus Rex », autrefois duc de Cumberland, qui demeure l’héritier de la couronne britannique.
D’anciennes rumeurs reviennent en mémoire. Avant l’accession de Victoria, des bruits avaient couru, prétendant que le très impopulaire duc de Cumberland tentait d’empoisonner la princesse. On dit avoir trouvé, au domicile d’Edward Oxford, un document de nature à compromettre le roi de Hanovre. Toutefois, cette « lettre de Hanovre » n’est pas publiée. L’agresseur est déclaré aliéné mental. Ses armes n’étaient peut-être pas chargées à balle. Il est confiné dans un asile jusqu’au bon plaisir de Sa
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