Victoria
aux policiers : je suis un gentleman déterminé à faire quelque bruit dans le monde. »
À Windsor, pour fêter Noël, le prince Albert a fait dresser sur des tables de petits sapins, avec une étoile au sommet et des décorations brillantes sur les branches. C’est, dit-il, une tradition allemande. Des cadeaux sont déposés au pied des sapins. Il y en a pour tous les membres de la maison royale et leurs familles, qui ont leurs appartements de fonction au château et dans ses nombreuses dépendances. Les enfants sont émerveillés.
C’est un Noël engourdi de gel. Pour Victoria, la mort de son petit chien paraît étrangement symboliser la fin d’une première période de sa vie. Dash, le charmant king-charles que lui avait autrefois offert la duchesse de Kent, avait 10 ans déjà. Il est enterré près du cottage Adélaïde, et l’on mettra sur sa tombe son effigie en marbre.
Dès le 2 janvier, la cour quitte le château de Windsor et rentre à Buckingham Palace. La princesse commence de s’éveiller. Le prince Albert est beaucoup plus affectueux avec elle que ne l’est la reine. Elle ne la prend pas dans ses bras, prétextant qu’elle est trop lourde. Albert, dit-elle, « fait une nourrice admirable ». Il adore sa petite fille, et danse souvent en la tenant contre sa joue. Victoria, répondant aux lettres de vœux de Léopold, ne partage pas exactement son enthousiasme d’homme pour la maternité.
« Je crois, mon très cher oncle, que vous ne pouvez pas réellement me souhaiter d’être la “ Maman d’une nombreuse famille ”, car je pense que vous verrez avec moi la considérable incommodité qu’une grande famille serait pour nous tous, et particulièrement pour le pays, sans parler des difficultés et inconvénients pour moi-même. Les hommes ne pensent jamais, ou du moins rarement, à la dure tâche que c’est pour nous les femmes d’avoir à subir tout cela très souvent. Que la volonté de Dieu soit faite, et s’Il décrète que nous devons avoir un grand nombre d’enfants, eh bien, nous devrons essayer de les élever pour en faire des membres utiles et exemplaires de la société. »
Il gèle à pierre fendre en cet hiver 1841. Albert retrouve avec bonheur des sensations de son enfance à Rosenau. Dans les jardins de Buckingham, Victoria regarde son ange patiner sur le lac. Soudain le prince disparaît. La perfide glace anglaise a cédé sous lui. Les dames de compagnie, qui courent vers le palais en appelant au secours, sont hors de portée de voix. Albert patauge dans l’eau froide, ne pouvant prendre appui sur les bords qui se brisent, tentant de nager malgré ses longs patins. Victoria, prudemment chaussée de semelles de crêpe, s’avance aussi loin qu’elle peut en lui tendant la main.
Le lendemain, 10 février 1841, c’est un prince Albert sévèrement enrhumé qui célèbre en même temps son premier anniversaire de mariage avec Victoria et le baptême de sa fille. L’enfant a pour marraines la reine douairière Adélaïde et sa grand-mère la duchesse de Kent, pour parrains son grand-père le prince Ernest de Saxe-Cobourg-et-Gotha, représenté par le duc de Wellington, et ses grands-oncles le roi Léopold et le duc de Sussex. L’adorable petite « Pussette » est prénommée Victoria Adélaïde Mary Louisa. « Pussy » gazouille gaiement, visiblement attirée par les lumières et les brillants uniformes.
Le bonheur familial de Victoria est gâché par cette évidence qui la consterne : elle se remet à peine que déjà elle se trouve de nouveau enceinte. Albert veille sur la reine et organise ses journées. Levé chaque jour avant l’aube, il travaille sous sa lampe verte, lisant et annotant les dépêches, rédigeant brouillons et mémorandums. Puis il va réveiller Victoria à 7 h 30. À 9 heures, ils reprennent ensemble leur tâche commune, assis à leurs bureaux contigus encombrés de documents, miniatures et bibelots.
En ce début de l’année 1841, l’état du pays est préoccupant. Le Royaume-Uni s’enfonce dans une crise économique qui ne fait que s’aggraver depuis l’accession de Victoria au trône en 1837. La croissance est au point mort. Plusieurs années de mauvaises récoltes, des lois sur le blé imposant des taxes rédhibitoires sur les céréales d’importation, renchérissent le pain. La pauvreté s’étend dans une population considérablement accrue. La misère exacerbe les mécontentements.
Il devient évident
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