Victoria
Dr Locock, le prince le met en garde, craignant que la reine ne fasse du « boucan ». L’obstétricien, perspicace, propose un sédatif à Sa Majesté, qui n’en veut surtout pas.
« Je peux supporter la douleur comme tout le monde ! »
L’accouchement dure douze heures. La pluie et le vent battent aux fenêtres. Les cheminées, qui refoulent, enfument les intérieurs.
Dans sa chambre même, la reine n’admet que le Dr Locock, aidé de Mrs Lilly, et le prince Albert.
Dans la pièce attenante, une table recouverte d’un molleton attend l’enfant, qui doit être inspecté par les dignitaires assemblés. L’archevêque de Cantorbéry, l’évêque de Londres et le comte d’Erroll, lord steward de la maison royale, sont patiemment assis. Les ministres du gouvernement vont et viennent. Les portes sont ouvertes pour qu’ils puissent à tout moment voir le visage de la reine et entendre ce qu’elle dit. Elle se retient de trop crier.
« Oh ! Ma’am , s’exclame Locock, c’est une princesse.
— Cela ne fait rien, répond Victoria, le prochain sera un prince. »
20
L’enfant étant née quelques semaines avant la date prévue, la nourrice était toujours chez elle, à Cowes, sur l’île de Wight. Pendant que la reine accouchait, le page Whiting est parti la chercher et l’a ramenée dans la nuit. Victoria n’est pas spécialement intéressée par la petite princesse. Elle est, comme le prince, fort déçue que ce ne soit pas un garçon. Quoi qu’il en soit, elle éprouve une sorte de répulsion pour cet être minuscule, aux yeux fermés, qui ne lui semble pas encore tout à fait humain. Les bébés sont de « vilains objets », de « simples plantes ».
La question de savoir quel prénom elle portera n’est pas décidée. Pour le moment, c’est simplement « l’enfant ». Deux fois par jour, Mrs Southey, la surintendante de la nursery, la présente à Sa Majesté, qui l’inspecte brièvement avant de vaquer à ses occupations.
La princesse royale dort dans un lourd berceau doré qui date du XVII e siècle. Le cadre est fait de volutes baroques, avec une grosse tête de chérubin sur chaque flanc. Les pieds qui rattachent la caisse aux bascules sont sculptés en forme d’anges ailés et joufflus, avec des seins rebondis et des ventres gravides.
Victoria, relevant de couches, est bien forcée de constater qu’Albert a su faire preuve d’une grande compétence pour les affaires de l’État. L’aide et les conseils qu’il lui apporte sont précieux.
Le prince Albert ne recherche pas le pouvoir à titre personnel. Sa philosophie est de « fondre sa propre existence individuelle dans celle de sa femme ». Il se donne pour tâche d’étudier tous les aspects de la vie politique britannique, pour pouvoir assister efficacement Victoria dans son métier de souveraine.
Elle lui accorde la confiance qu’elle refusait autrefois à l’impertinent régisseur de sa mère. En effet, leur union est sanctifiée par le mariage. D’ailleurs, ne se sont-ils pas promis de n’avoir aucun secret l’un pour l’autre ?
Après avoir dûment évoqué la question avec Lord Melbourne, Victoria remet au prince un double de la clé des boîtes rouges.
Mrs Lilly, la nourrice, a entendu un drôle de bruit dans le salon de la reine. Elle appelle un page, qui voit deux pieds dépassant sous un sofa où Sa Majesté était assise quelques heures auparavant. C’est encore une fois le « gamin Jones ». Un an après s’y être fait prendre, il est revenu hanter Buckingham Palace.
« Je voulais savoir, dit-il, comment les gens vivent au Palais. Je désirais connaître leurs habitudes, et je pensais que la description ne ferait pas mal dans un livre. »
Cette fois-ci, il n’a rien volé, et son apparence est un peu moins celle d’un sauvageon. Au lieu de se cacher dans les cheminées, il prétend qu’il dormait dans le lit d’une servante et se sustentait sur le pouce.
« Je me suis assis sur le trône, et j’ai vu la reine et entendu la princesse royale pleurer. »
Lors de sa précédente visite, l’adolescent rachitique avait été jugé fou, et relâché sans autre forme de procès. Comme il semble avoir besoin d’une leçon, il est envoyé à la maison de correction de Tothill Street. Trois mois de moulin à discipline feront peut-être passer à ce monte-en-l’air l’envie de faire l’écureuil.
« Un peu de considération, je vous prie, dit-il très dignement
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