Victoria
pour des audiences personnelles afin de discuter des affaires de l’État. Cela revient à s’arroger une prérogative qui est constitutionnellement celle du monarque. Victoria s’en félicite. Dans sa correspondance ministérielle, le « je » a cédé le pas à un « Nous » dont la majesté est harmonieusement conjugale.
Le 25 avril 1843, Victoria donne naissance à son troisième enfant. C’est une fille, ce qui lui vaut un accueil mitigé – le public espère impatiemment un second prince.
« On l’appellera Alice, écrit Victoria à Léopold, un vieux nom anglais, et ses autres noms seront Maud (un autre vieux nom anglais qui est le même que Matilda) et Mary, parce qu’elle est née le jour de l’anniversaire de tante Gloucester. »
Les premiers mois de l’existence du nourrisson sont l’occasion d’un bonheur quelque peu perturbé par le comportement de l’un de ses parrains, son grand-oncle Ernest I er , roi de Hanovre.
« Le roi de Hanovre est arrivé juste à temps pour être en retard, écrit Victoria à Léopold. Il a beaucoup vieilli, il est excessivement maigre et très courbé. Il est très gracieux, plus que d’ordinaire en tout cas. »
N’ayant certes pas de raison de se réjouir de la fécondité de sa nièce, qui l’éloigne toujours plus de la couronne britannique, il entreprend de se rendre désagréable. Son attitude résume le peu d’affection de l’ensemble de la famille royale pour le prince Albert – Ernest insiste lourdement pour avoir la préséance sur lui.
Des scènes ridicules et embarrassantes se produisent en juillet, à l’occasion des noces de la princesse Augusta, fille du duc de Hanovre, avec le grand-duc de Mecklembourg-Strelitz. Le roi Ernest, aussi impopulaire qu’au temps où il était duc de Cumberland, est demeuré à Londres pour prendre son siège à la Chambre des lords.
Au mariage d’Augusta, qui a lieu à Buckingham Palace, il joue encore une fois des coudes pour tenter de signer le registre tout de suite après la reine et avant le prince. Victoria et Albert, à peine remis de la grippe et encore mal assurés sur leurs jambes, maintiennent tant bien que mal leur dignité dans la bousculade. Sa Majesté parvient à passer la plume à son époux, qui d’une bourrade pousse le roi de Hanovre au bas des marches. Un Ernest outré tombe entre les mains du maître de cérémonie, qui le conduit discrètement hors de la chapelle sans lui laisser le temps de faire un regrettable esclandre.
Un mois plus tard, le « méchant oncle » est encore là, espérant récupérer au plus vite sa part des joyaux de la Couronne. Il demande entre autres ceux qui appartenaient autrefois à la reine Charlotte, épouse de George III, née princesse de Mecklembourg-Strelitz. Une commission a été nommée pour démêler les complexités de cette question intriquée, mais elle ne se presse pas de remettre ses conclusions.
« La reine est désireuse, écrit Victoria, que soit fait ce qui est juste. Mais elle est très fermement d’opinion que la menace du roi de Hanovre (car il faut considérer que c’en est une) de ne pas quitter le pays tant que l’affaire ne sera pas décidée ne doit en aucune manière peser sur la transaction, car il n’est d’aucune conséquence que le roi reste ici ou non. »
Ernest est un homme mesquin, qui semble avoir pris son parti d’être universellement détesté. Albert s’excuse-t-il de ne pas pouvoir accepter d’aller marcher dans les rues de Londres avec lui ?
« Oh ! Ne vous en faites pas pour cela, lui répond Ernest, j’étais déjà bien plus impopulaire que vous ne l’êtes aujourd’hui, que je me promenais en parfaite impunité. »
Le séjour prolongé du roi de Hanovre en Angleterre et son comportement sont fâcheux. La question des bijoux de la Couronne n’a en soi pas grande importance, mais l’insistance lésineuse qu’il y met, en un temps de détresse sociale, projette une image consternante de la monarchie.
Ernest a peut-être l’excuse d’être un homme âgé, il n’en est pas moins le contraire d’un souverain éclairé. Il n’était pas sitôt monté sur le trône du Hanovre, en 1837, qu’il en abolissait la Constitution, révoquant sept professeurs de l’université de Gottingue qui, à cause de cela, refusèrent de lui jurer allégeance. Mal aimé en raison de son caractère détestable, il est haï avant tout parce qu’il est la caricature de l’aristocrate
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