Victoria
réactionnaire.
Nul plus que le prince Albert n’a conscience du danger d’une telle situation. Sa propre impopularité le désole. S’il ne parvenait pas à y remédier au plus vite, elle s’avérerait bientôt catastrophique. Ceux qui répandent des calomnies à son endroit sont vraisemblablement ses adversaires au sein même de la famille royale, que le roi de Hanovre excite.
C’est une attitude pour le moins irresponsable, car le pays bouillonne d’une agitation chartiste et radicale, qui se nourrit de la sévérité de la crise et de la scandaleuse lenteur des réformes, entravées par d’incessantes luttes parlementaires. Le libre-échange, Albert en est convaincu, relancerait l’essor économique et résoudrait bien des problèmes. Mais les conservateurs au pouvoir, malgré toute l’estime que Victoria et lui-même ont pour leur chef, Sir Robert Peel, ne sont pas, dans leur ensemble, près d’admettre une telle politique.
Pendant ce temps, l’esprit révolutionnaire gagne du terrain, tant dans le Royaume-Uni qu’en Europe continentale. La France en demeure le berceau fort instable. Quel homme est donc réellement ce Louis-Philippe, ce « roi des barricades » ? Peut-on vraiment croire qu’il représente le compromis viable d’une monarchie progressiste ? Ce jacobin d’avant-hier, avec son ministre Guizot, fait une politique qui, un peu comme celle des whigs, mais avec plus d’insolence, favorise l’enrichissement de quelques-uns et désespère le peuple. Combien de temps encore pourra-t-il se maintenir ? S’il venait à être renversé par une nouvelle révolution, l’Europe pourrait bien s’enflammer de nouveau.
Pour l’heure, il convient de veiller à contrecarrer l’organisation chartiste. Il faut tenter de contenir les mouvements radicaux et républicains sans violences inutiles ou injustes. Il importe également, si cela se peut, de couper leurs attaches avec les indépendantistes Irlandais, qui veulent abroger l’Acte d’union de 1800. Daniel O’Connel, dit « le Libérateur » ou « l’Émancipateur », a promis de faire de 1843 l’« année de l’abrogation ». Si ce qu’annonce cet agitateur venait à se réaliser, le coup porté à la couronne du Royaume-Uni serait rude.
Dans l’immédiat, on poursuit les responsables des « émeutes de Rébecca » qui attaquent les postes de péage au pays de Galles. Victoria et Albert écrivent leur point de vue à Sir James Graham, ancien membre du gouvernement whig de Charles Grey et actuel ministre de l’Intérieur conservateur.
« La Reine compte que des mesures de la plus grande sévérité seront prises, aussi bien pour réprimer l’esprit révolutionnaire que pour amener les coupables à être immédiatement jugés et punis. La reine pense que cela est de la plus haute importance, eu égard à l’effet que cela peut avoir en Irlande, mais aussi pour prouver que le gouvernement est désireux de faire preuve de la plus grande indulgence et de faire confiance au bon sens du peuple, mais que si des outrages sont commis et qu’il est mis en demeure d’agir, il ne faut pas badiner avec lui, et qu’il châtiera les malfaiteurs avec la plus extrême sévérité. »
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Le Victoria & Albert , nouveau yacht royal, traverse la manche en direction de la Normandie. La reine et le prince sont à son bord. Au fur et à mesure que le secret de ce voyage s’est ébruité, la rumeur a suscité les soupçons et l’opinion défavorable du public. Victoria y tient. C’est la première sortie officielle de ce voilier de plus de mille tonneaux, équipé de moteurs à vapeur de quatre cent trente chevaux. Deux cheminées se dressent entre le mât de misaine et le grand mât. Deux larges ailes de roues à aubes sont visibles de part et d’autre. L’équipage est exactement celui de l’ancien Royal George , sous le commandement du capitaine Lord Adolphus FitzClarence. Depuis son lancement en avril, le prince est allé inspecter les finitions. Soucieux d’envoyer au pays des signaux clairs et forts, il a choisi de le faire le 18 juin 1843, jour anniversaire de la bataille de Waterloo. Pour l’occasion, il a descendu la Tamise jusqu’aux docks des Antilles, sur la barge de cérémonie, qui n’avait pas servi depuis les funérailles de Nelson.
L’idée d’aller rencontrer Louis-Philippe en France est venue à Victoria de Léopold et de Louise, reine des Belges et fille du roi des Français. Ils l’ont assurée
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