Victoria
qu’il était très souhaitable de lier des relations cordiales entre les familles royales des deux pays. Victoria et Albert pourront se rendre compte par eux-mêmes que Louis-Philippe n’est pas du tout, comme on le dit trop souvent, un homme fourbe et calculateur. Ce ne sont là que des préjugés. La cause en est la méfiance des têtes couronnées pour ce « roi citoyen », considéré comme un usurpateur parce qu’il a été porté au pouvoir par la révolution de 1830.
Il est vrai qu’il parle beaucoup, et peut sembler parfois tenir des discours différents selon ses interlocuteurs. C’est seulement un effet de sa loquacité et de son grand désir de convaincre. La reine Louise s’est entremise auprès de son père, pour lui faire promettre qu’il ne tenterait aucunement d’influencer Victoria et que toute question politique serait scrupuleusement évitée.
Pourtant, entre le Royaume-Uni et la France, les sujets de conversation susceptibles de fâcher sont assez loin de faire défaut. Au nombre des plus délicats, il faut compter, par exemple, la situation du Proche-Orient. En Égypte, depuis le début des années 1830, le pacha Méhémet-Ali secoue par les armes le joug de la Turquie, avec une réussite embarrassante. La France a tenté d’arbitrer le conflit, mais sans succès, peut-être à cause d’une partialité intéressée envers Méhémet-Ali qui participa autrefois à la campagne de Napoléon en Égypte. Le comte Metternich, soucieux de faire de l’Autriche une puissance européenne de premier plan au moment où l’Empire ottoman vacille, prône un règlement concerté de la question par les principaux pays d’Europe. En Angleterre, Palmerston est convaincu que ce rôle doit être celui de Londres et non de Vienne.
Pendant ce temps, Méhémet-Ali se rapproche de la Russie, dont la flotte est entrée dans le Bosphore, et qui lorgne dangereusement sur Constantinople. Pour la Grande-Bretagne, enfin, l’Égypte occupe une situation géographique cruciale sur la « route terrestre » des Indes. Nombre de ses navires, plutôt que de contourner l’Afrique, remontent la mer Rouge jusqu’à Suez. Passagers, courriers, marchandises légères sont de là transportés à Port-Saïd où ils reprennent la mer.
Une entente cordiale entre la Grande-Bretagne et la France paraît évidemment souhaitable, mais de telles négociations doivent se faire entre gouvernements. Une rencontre informelle entre les souverains peut être la porte ouverte à quelque manipulation. Un rien suffirait à envenimer subitement des relations franco-anglaises historiquement tendues.
Ce Louis-Philippe est tenu pour un intrigant retors. Dieu sait quel imbroglio ces Français, à l’évidence, ont en tête ! À Londres, nombreux sont ceux qui pensent que cette visite a été complotée par Louis-Philippe, par l’entremise de sa fille Louise, dont l’amitié de longue date avec Victoria est bien connue. Il se peut qu’il cherche simplement une première reconnaissance magistrale dans le cénacle des monarques légitimes ; il serait toutefois étonnant qu’un événement d’une telle signification historique n’ait qu’un objectif symbolique…
Aucun souverain d’Angleterre n’a plus jamais été l’hôte d’un roi de France depuis que Henry VIII rencontra François I er au Camp du drap d’or, près du château d’Ardre, en 1520. Le souvenir en demeure cuisant. Or certains parallèles peuvent sembler frappants : la France et l’Angleterre souhaitaient alors s’allier pour contrecarrer les menées de Charles Quint, empereur du Saint-Empire romain germanique. Elles aimeraient aujourd’hui faire pièce à celles de Nicolas I er , tsar de Russie, roi de Pologne et grand-duc de Finlande. L’entrevue avait aussi été l’occasion d’un traité, confirmant le mariage du Dauphin de France avec Mary Tudor, qui ne put jamais avoir lieu.
La rumeur prête à Louis-Philippe le dessein de favoriser une autre union, qui serait de nature à réaliser le vieux rêve français d’une alliance entre la France et l’Espagne. Depuis la mort de Ferdinand VII, la reine Christina exerce la régence pour sa fille Isabella, dans une Espagne déchirée par une crise de succession qui prend tournure de guerre civile. La reine Isabella a 13 ans. Elle a une sœur cadette de 11 ans, l’infante Luisa.
On prétend que Louis-Philippe intrigue pour que la reine Isabella se marie avec son cousin, le duc de Cadiz, tandis
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