Victoria
que l’infante Luisa épouserait son propre fils, le duc de Montpensier. Le duc de Cadiz est réputé incapable d’avoir des enfants. La couronne d’Espagne reviendrait ainsi, tôt ou tard, à Luisa et à son conjoint.
Si pareille circonstance devait advenir, ce serait une violation manifeste du traité d’Utrecht, qui mit fin à la guerre de Succession d’Espagne en 1713. Cela contreviendrait aussi au traité de la Quadruple Alliance, signé en 1834 par l’Espagne, la France, la Grande-Bretagne et le Portugal, pour soutenir Isabella II d’Espagne contre son oncle Don Carlos, et Maria II du Portugal contre son oncle Miguel.
Victoria n’ignore rien de ces considérations compliquées. Elle est convaincue que favoriser une relation de bonne entente entre elle-même et Louis-Philippe est la meilleure chose qu’elle puisse faire. La question orientale et celle de la succession d’Espagne ont tout à y gagner. Elle vogue donc vers la France, forte des recommandations de ceux en qui elle a le plus confiance. Lord Melbourne, assez bien rétabli de ses ennuis de santé, l’a mise en garde contre toute implication politique, réelle ou apparente.
« Ne les laissez pas faire un quelconque traité ou accord là-bas. Cela peut être fait tout aussi bien ailleurs, sans aucun des soupçons qui s’attacheront immanquablement à toute transaction qui aurait lieu là-bas. »
C’est la première fois que Victoria se rend à l’étranger. Lorsque Henry VIII avait quitté l’Angleterre, et bien qu’en se rendant à Calais il ne sortît pas du royaume, une loi de régence avait été votée pour que la Couronne fût dûment représentée en l’absence du souverain. Le duc de Wellington cite d’autres exemples. Victoria s’y oppose formellement. Dorénavant, aucune délégation de l’autorité royale n’aura lieu lors de ses déplacements internationaux.
Le 2 septembre 1843, le Victoria & Albert jette l’ancre au Tréport, après que le prince de Joinville, fils du roi, l’a rejoint à Cherbourg. Déjà Louis-Philippe approche, sur une barge aux nombreux rameurs tout de blanc vêtus, des rubans rouges à leurs chapeaux. C’est avec un empressement manifeste que le roi des Français monte à bord et embrasse Victoria. La reine et le prince voguent en compagnie de leur hôte vers le rivage, dans un bateau offrant le rare spectacle des étendards royaux de France et d’Angleterre flottant côte à côte. Un large rassemblement de troupes et une foule nombreuse et joviale les accueillent.
Au château d’Eu, on donne le soir une somptueuse collation sous les hêtres séculaires du parc. La reine Marie-Amélie, fille du roi Ferdinand I er des Deux-Siciles, est une femme de 61 ans – onze ans de moins que Louis-Philippe. Victoria et Albert sont donc reçus par un couple beaucoup plus âgé qu’eux, qui leur témoigne une affabilité presque parentale. Le roi et le prince de Joinville ne sont jamais à court d’anecdotes divertissantes. Les jours suivants, on organise un pique-nique dans la forêt voisine. Le prince Albert prend un bain de mer. Ces cinq journées font aux yeux de tous la démonstration de l’entente qui règne désormais entre l’Angleterre et la France.
Aucun échange de vues politiques n’a eu lieu. Toutefois, au cours d’une conversation avec la reine, le prince et Lord Aberdeen, ministre des Affaires étrangères, Louis-Philippe a solennellement déclaré qu’il n’a aucun dessein pouvant aboutir à placer l’un de ses fils sur le trône d’Espagne.
Pendant que Louis-Philippe faisait assaut de civilité, la négociation s’est poursuivie discrètement entre Aberdeen et Guizot. Un accord a été passé, selon les termes duquel Louis-Philippe renoncerait à toute prétention de l’un ou l’autre de ses fils à la main de la reine d’Espagne. La souveraine de ce pays choisirait de préférence un époux parmi les descendants de Philippe V, de manière à écarter également les princes de la famille Cobourg. Quant à l’union éventuelle du duc de Montpensier avec l’infante Luisa, elle ne pourrait avoir lieu avant que la reine Isabella soit mariée et qu’elle ait des héritiers.
Victoria et Albert, satisfaits de leur plaisant séjour, s’en retournent à Windsor pour voir leurs enfants. Puis ils traversent de nouveau la Manche sur leur yacht, pour se rendre à la cour de Bruxelles. Depuis longtemps, la reine Louise priait Victoria de venir chez elle. C’est
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