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Victoria

Victoria

Titel: Victoria Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joanny Moulin
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préfère travailler et pouponner. La vie de famille prospère aux dépens de la vie mondaine. Le résultat ne se fait pas attendre : on s’ennuie à la cour, on bâille à Buckingham aussi bien qu’à Windsor.
    Certes, le couple royal reçoit des invités à dîner, mais ce sont plus souvent des ingénieurs que des artistes. Les après-midi sont consacrés à des rendez-vous. Le prince et la reine préfèrent employer leurs loisirs à jouer de la musique, à faire des croquis et à peindre. L’un de leurs hobbies est la pratique de la gravure à l’eau-forte. On reproduit des dessins, inversés en miroir, avec des stylets sur des plaques de cuivre. Un apprêt permet d’isoler certaines zones pour que l’acide n’y attaque pas le métal. De cette façon, par des impressions successives, on peut obtenir des stéréotypes d’images en couleurs. C’est un procédé qu’Albert affectionne tout particulièrement, parce que l’art s’y confond admirablement avec la technique industrielle.
    Victoria met un point d’honneur à se faire attendre. La reine arrive toujours très en retard pour dîner. Albert la devance d’un quart d’heure, après lui avoir rituellement rendu visite dans sa chambre, où elle se prépare avec une majestueuse lenteur. Elle approche enfin, annoncée par l’orchestre qui joue le God Save the Queen , précédée de deux serviteurs qui ouvrent les portes à deux battants et s’inclinent fort bas. Souriant au prince, la souveraine s’assied, très droite, en tête de table.
    Les invités sont irréprochablement ternes. Nul n’est convié à la cour sans avoir au préalable fait l’objet d’une rigoureuse enquête de moralité. Par exemple, la reine persiste à refuser de recevoir l’épouse de Lord Saint Leonard, bien qu’elle ait plus de 70 ans, parce qu’elle est connue pour s’être enfuie avec lui lorsqu’elle en avait 17.
    On cherche en vain de quoi l’on pourrait parler. Le prince ne s’anime un peu que s’il est question de la gestion de la ferme royale, pour laquelle il se passionne, ou de nécessaires travaux d’assainissement, de chauffage ou d’administration de Buckingham Palace. Le silence qui pèse sur les dîners s’aggrave par le fait que l’étiquette réserve strictement à Sa Majesté le privilège d’aborder un sujet de conversation. Or, Victoria mange, dévore très vite, et chacun se dépêche de faire de même, sachant qu’il faudra poser les fourchettes à l’instant même où l’assiette de la souveraine sera vide.
    Puis la cour se retire au salon. Albert méprise autant que Victoria cette fâcheuse coutume anglaise qu’ont les messieurs de demeurer à table après les dames, pour bavarder en fumant. La reine aimerait pouvoir interdire tout à fait le tabac. Suivent alors des veillées insonores, où l’on s’adonne à divers jeux de société, le prince préférant le plus souvent les échecs, quitte à jouer seul si les partenaires font défaut. Il attend ainsi l’heure où il pourra se retirer dans sa chambre, pour consacrer quelques heures à la lecture.
    La reine ayant toujours trop chaud, les pièces sont méthodiquement aérées. De plus, elle demeure convaincue que rien n’est meilleur pour la santé que le froid, comme le démontre son médecin Sir James Clark dans son De frigoris effectibus . Il règne donc au palais une température tout à fait vivifiante.
    L’austérité qui prévaut à la cour, ce dédain affiché de la bonne société provoquent des critiques boudeuses. Victoria, qui aimait tant les fêtes et la danse avant son mariage, a changé du tout au tout sur ce point. On veut y voir les symptômes d’une glaciale influence tudesque. Trop allemand, le prince ignore les usages britanniques d’une manière pour le moins choquante. D’ailleurs, il est frappant qu’il monte à cheval avec une raideur toute germanique. Piètre cavalier, sans doute, il est incapable de se tenir en selle avec l’élégance caractéristique des Anglais. Il échange, dit-on, des privautés avec la reine en allemand. On l’aurait même entendu affirmer que pas un tailleur en Angleterre ne sait faire une veste, ou bien encore que les Polonais méritent aussi peu de sympathie que les Irlandais. Une telle arrogance est, à l’évidence, des plus mal venues.
    Ces médisances sont l’expression d’un mécontentement devant la place prépondérante que prend le prince Albert. Il reçoit maintenant le Premier ministre, Sir Robert Peel,

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