Vidocq - le Napoléon de la Police
Souvent, il les compare aux ordures qui encombrent les rues. Il
voudrait que la ville en soit nettoyée. Comme il se sent différent de ces
hommes qui ne pensent que rapines et assassinats ! Certains égorgent un
homme comme ils avaleraient un bock et n’y pensent même plus la minute d’après.
Il a pu être au bagne, jamais il n’a été un bagnard. Il les a vus de trop près
pour ne pas s’y tromper. Lorsqu’ils parlent d’honneur, ce n’est qu’hypocrisie.
Aucune solidarité entre ces rebuts de la société. Ils se volent entre eux, se
dénoncent, ne méritent plus le nom d’homme. Le monde interlope des marginaux
lui fait horreur. Lorsqu’il lit dans les journaux les crimes commis, il se dit
que malgré quelques individus encore récupérables, la majorité devrait être
anéantie. Seule la pensée que certains d’entre eux, peuvent comme lui être
innocents, nuance son jugement.
Un matin, un commissionnaire
l’avertit que deux clients l’attendent chez un traiteur de la rue d’Aumaire.
Sitôt arrivé, Vidocq reconnaît Blondy et Duluc, deux échappés du bagne de
Brest. Goguenards, les deux hommes le narguent :
« On a appris qu’t’as bien
réussi. Une boutique, une femme, de l’argent, de la respectabilité »,
siffle le premier, d’un air admiratif.
« Ça nous a fait bien
plaisir », ricane l’autre.
Vidocq considère ces deux voyous
qu’il sait capables de tout, y compris de le vendre à la police pour se venger
d’un refus, quitte à se perdre eux-mêmes.
Les deux compères lui demandent
aussitôt de l’argent :
« J’ai mieux à vous
proposer », lance Vidocq.
Mieux que de l’oseille, les deux
malfrats n’en croient pas leurs oreilles.
« T’es un malin, c’est quoi,
chouriner une pomme qui t’a fait des misères ? », suggère Blondy.
Vidocq crispe ses mâchoires. Ce sera
dur de les convaincre de changer d’existence. Il veut quand même essayer de
leur donner une dernière chance.
«… du travail. Il y a des usines ici
et je connais certains patrons. Vous pourrez y être employés et vous faire une
nouvelle vie.
— Chouette idée. Ils doivent
avoir du fric ces patrons. Ce sont des clients à toi ? Tu vas bien
gentiment nous donner leurs adresses et l’empreinte de leurs clefs. »
Pendant qu’il essaie de les
convaincre, les deux truands le narguent :
« Si tu veux nous aider, tarde
pas, on n’est pas des gens patients. Garde tes bonnes paroles pour les
argousins du bagne, ça les fera bien rigoler. Nous, on préfère d’autres
arguments, sonnants et trébuchants. »
Et faisant glisser le pouce contre
l’index, ils sortent en lui disant : « À bientôt. »
À l’évidence, ils pensent avoir
trouvé une « vache à lait ». Vidocq n’a pas l’intention de devenir le
banquier de tous ces charognards évadés qui se repasseront une si bonne
adresse. Il sait que ce sera sans fin. On le rançonnera jusqu’à la dernière
pièce de monnaie, pour le dénoncer lorsqu’il n’aura plus rien. Une fois rentré,
il raconte tout à Annette.
Pendant deux jours, rien ne se
passe. Un soir rentrant à la boutique, Vidocq trouve ses femmes en pleurs.
Elles lui racontent la visite terrifiante des deux ivrognes menaçants qui après
avoir pris le contenu de la caisse, sont partis avec le cheval et la voiture.
Dix jours plus tard, un troisième bagnard, Germain, la lui rapporte tâchée de
sang à l’intérieur. Le meurtre y est écrit partout. Vidocq l’enferme dans la
remise. Le soir, il attelle et part loin, en direction de Bercy.
L’endroit est désert, il n’y passe
jamais personne. Il met le feu à la carriole afin d’effacer toutes traces. Il a
compris le message des deux escrocs. Plutôt perdre sa voiture que d’être accusé
de complicité de crime. Que peut-il faire d’autre ? Il passe la nuit sans
dormir, se tournant sans cesse et réfléchissant à la tournure des événements.
Il est entre leurs mains, s’il ne tente rien, il mourra au bagne après avoir
été complètement dépouillé. Il n’y a pas d’échappatoire. Avant tout, il doit
éviter que ses femmes tombent sous l’emprise de cette pègre.
Aussi, le lendemain, il leur annonce
qu’il va se livrer à la police : « La situation est sans
issue. » Alors autant prendre les devants.
Malgré les larmes de sa mère et les
supplications d’Annette qui lui propose de tout vendre et de partir ailleurs,
en province, Vidocq s’en tient à cette
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