Vie de Franklin, écrite par lui-même - Tome I
fait autrefois le commerce à Bristol. Obligé de manquer, il composa avec ses créanciers et partit pour l'Amérique, où à force de travail et d'application, il acquit bientôt une fortune considérable. Il repassa alors en Angleterre, dans le vaisseau où j'étois embarqué, ainsi que je l'ai rapporté plus haut. Là, il invita tous ses créanciers à une fête. Quand ils furent rassemblés, il les remercia de la facilité avec laquelle ils avoient consenti à un accommodement favorable pour lui ; et tandis qu'ils ne s'attendoient à rien de plus qu'à un simple repas, chacun trouva sous son assiette, au moment où il la retourna, un mandat sur un banquier, pour le reste de sa créance et des intérêts.
M. Denham me dit que son dessein étoit d'emporter à Philadelphie une grande quantité de marchandises, afin d'y ouvrir un magasin ; et il m'offrit de me prendre avec lui, en qualité de commis, pour avoir soin de son magasin, copier ses lettres, et tenir ses livres, ce qu'il se chargeroit de m'apprendre. Il ajouta qu'aussitôt que je serois au fait du commerce, il m'avanceroit, en m'envoyant, avec une cargaison de bled et de farine, aux îles de l'Amérique, et en me procurant d'autres commissions lucratives ; de sorte qu'avec de la conduite et de l'économie, je pourrois, avec le temps, entreprendre des affaires avantageuses pour mon compte.
Ces propositions me plurent.
Londres commençoit à m'ennuyer. Les momens agréables que j'avois passés à Philadelphie, se retracèrent à ma mémoire, et je désirai de les voir renaître. En conséquence je m'engageai avec M. Denham à raison de cinquante livres sterlings par an. C'étoit à la vérité, moins que je ne gagnois comme compositeur d'imprimerie : mais aussi j'avois une plus belle perspective. Je quittai donc l'état d'imprimeur, et je crus que c'étoit pour toujours. Je me livrai entièrement à mes nouvelles occupations. Je passois mon temps, soit à accompagner M. Denham de magasin en magasin, pour acheter des marchandises, soit à les faire emballer et à presser les ouvriers. Cependant, lorsque tout fut à bord, j'eus quelques jours de loisir.
Durant cet intervalle, on vint me demander de la part d'un homme que je ne connoissois que de nom. C'étoit sir William Wyndham. Je me rendis chez lui. Il avoit entendu parler de la manière dont j'avois nagé entre Chelsea et Blackfriards ; et on lui avoit dit que j'avois enseigné, en quelques heures, l'art de la natation, à Wygate et à un autre jeune homme. Ses deux fils étoient sur le point de voyager en Europe. Il désiroit qu'ils sussent nager avant leur départ ; et il m'offrit une récompense assez considérable, si je voulois le leur apprendre.
Ils n'étoient pas encore à Londres, et le séjour que j'y devois faire moi-même étoit incertain ; c'est pourquoi je ne pus accepter sa proposition. Mais je supposai, d'après cet incident, que si j'eusse voulu rester dans la capitale de l'Angleterre, et y ouvrir une école de natation, j'aurois pu gagner beaucoup d'argent. Cette idée me frappa même tellement, que si l'offre de sir William Wyndham m'eût été faite plutôt, j'aurois renoncé, pour quelque temps, au dessein de retourner en Amérique.
Quelques années après, nous avons eu, vous et moi, des affaires plus importantes à traiter, avec l'un des fils de sir William Wyndham, devenu comte d'Egremont. Mais n'anticipons pas sur les évènemens.
J'avois passé dix-huit mois à Londres, travaillant presque sans relâche de mon métier, et ne fesant d'autre dépense extraordinaire pour moi, que d'aller quelquefois à la comédie, et d'acheter quelques livres. Mais mon ami Ralph m'avoit tenu dans la pauvreté. Il me devoit environ vingt-sept livres sterlings, qui étoient autant de perdu, et qui, prises sur mes petites épargnes, me paroissoient une somme considérable. Malgré cela, j'avois de l'affection pour lui, parce qu'il possédoit beaucoup de qualités aimables. Enfin, quoique je n'eusse rien fait pour ma fortune, j'avois augmenté la somme de mes connoissances, soit par le grand nombre d'excellens livres que j'avois lus, soit par la conversation des savans et des gens de lettres, avec lesquels je m'étois lié.
Nous fîmes voile de Gravesende le 23 juillet 1726. Je ne vous dirai rien ici des incidens de mon voyage. Vous les trouverez dans mon journal, où toutes les circonstances en sont particulièrement détaillées. Nous arrivâmes à Philadelphie le 11 octobre suivant.
Keith
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