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Vie de Franklin, écrite par lui-même - Tome I

Vie de Franklin, écrite par lui-même - Tome I

Titel: Vie de Franklin, écrite par lui-même - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benjamin Franklin
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m'apprendre qu'il s'étoit établi dans un petit village du Berkshire. Il recommanda à mes soins mistriss T... la marchande de modes, et il me pria de lui répondre à l'adresse de M. Franklin, maître d'école à N...
Il continua de m'écrire fréquemment, m'envoyant de longs fragmens d'un poëme épique, qu'il composoit, et qu'il m'invitoit à critiquer et à corriger. Je fesois ce qu'il désiroit ; mais non sans chercher à lui persuader de renoncer à ce travail.
    Young venoit précisément de publier une de ses satyres. J'en copiai une grande partie et l'envoyai à Ralph, parce que c'étoit un endroit, où l'auteur démontroit la folie de cultiver les muses, dans l'espoir de s'élever dans le monde par leur moyen. Tout cela fut en vain. Les feuilles du poëme continuèrent à m'arriver par chaque courrier.
Pendant ce temps-là, mistriss T... ayant perdu, à cause de Ralph, et ses amis et son commerce, étoit souvent dans le besoin. Elle avoit alors recours à moi ; et pour la tirer d'embarras, je lui prêtois tout l'argent qui ne m'étoit pas nécessaire pour vivre. Je me sentis un peu trop de penchant pour elle. N'étant retenu, dans ce temps-là, par aucun frein religieux, et abusant de l'avantage que sembloit me donner sa situation, j'osai, et ce fut une autre erreur de ma vie, j'osai essayer de prendre avec elle des libertés, qu'elle repoussa avec une juste indignation. Elle informa Ralph de ma conduite ; et cette affaire occasionna une rupture entre lui et moi.
Quand il revint à Londres, il me donna à entendre qu'il regardoit toutes les obligations qu'il m'avoit, comme anéanties par ce procédé ; d'où je conclus que je ne devois jamais espérer le remboursement de l'argent que j'avois avancé pour lui, ou prêté à lui-même. J'en fus d'autant moins affligé qu'il étoit entièrement hors d'état de me payer, et qu'en perdant son amitié, je me trouvois en même-temps délivré d'un très-pesant fardeau.
Je songeai alors à mettre quelqu'argent en réserve. L'imprimerie de Watts, près de Lincoln's-Inn-Fields, étant plus considérable que celle où je travaillois, je crus qu'il me seroit plus avantageux d'y entrer.
    Je m'y présentai ; on m'y reçut ; et ce fut-là que je demeurai pendant tout le reste de mon séjour à Londres.
À mon entrée dans cette imprimerie, je commençai à travailler à la presse, parce que je crus avoir besoin de l'exercice corporel, auquel j'avois été accoutumé en Amérique, où les ouvriers travaillent alternativement comme compositeurs et comme pressiers.
Je ne buvois que de l'eau. Les autres ouvriers, au nombre d'environ cinquante, étoient grands buveurs de bière. Je portois souvent, en montant et en descendant les escaliers, une grande forme de caractères dans chaque main, tandis que les autres avoient besoin des deux mains pour porter une seule forme. Aussi étoient-ils étonnés de voir, et par cet exemple et par beaucoup d'autres, que l'Américain aquatique, comme ils m'appeloient, étoit plus fort que ceux qui buvoient du porter [De la bière forte.]. Le garçon du marchand de bière avoit assez d'occupation toute la journée à servir cette seule maison. Mon camarade de presse buvoit tous les matins, avant le déjeûner, une pinte de bière, une pinte en déjeûnant avec du pain et du fromage, une entre le déjeûner et le dîner, une à dîner, une vers les six heures du soir, et encore une lorsqu'il avoit fini son ouvrage. Cette habitude me sembloit très-mauvaise : mais mon camarade disoit que sans cette quantité de bière, il n'auroit pas assez de force pour travailler.
J'essayai de le convaincre que la force corporelle, que donnoit la bière, ne pouvoit être qu'en proportion de la quantité solide de l'orge, dissoute dans l'eau, dont la bière étoit composée. Je lui dis qu'il y avoit plus de farine dans un pain d'un sol, et que conséquemment s'il mangeoit ce pain et buvoit une pinte d'eau, il en retireroit plus de force que d'une pinte de bière.
    Cependant, ce raisonnement ne l'empêcha pas de boire sa quantité de bière accoutumée, et de payer chaque samedi au soir, quatre ou cinq schellings d'écot pour cette maudite boisson ; dépense, dont j'étois entièrement exempt. C'est ainsi que ces pauvres diables restent volontairement toute leur vie dans la pénurie et dans le malheur.
Au bout de quelques semaines, Watts ayant besoin de m'employer à la composition, je quittai la presse. Les compositeurs me demandèrent la bienvenue. Mais

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