Viens la mort on va danser
tête!... Parle-moi, chante, éclabousse le
silence... »
Je
le pris dans ma main comme un souffle de jaune écru. Sa tête bougea lentement
vers moi; ses pattes, recroquevillées, étaient raides comme des brindilles.
«
Je suis paralysé, l'ami, me voici aux portes de la liberté.
Non,
l'oiseau, ne dis pas ça, on va encore faire la fête, je te promets que je
marcherai pour toi. Tiens, on repeindra ta cage et, même si tu ne peux plus
voler, je te ferai un petit carrosse, comme le mien. Ne me quitte pas... la
mort n'est pas pour toi.
Non,
l'ami, je t'ai accompagné dans ton silence, dans tes pleurs d'homme seul, je
n'ai jamais cessé d'être un autre toi-même, mais la mort est venue dans mon
corps d'oiseau pour te ressembler... Il est temps maintenant. Serre- moi. »
*
Lorsque
je revins à Paris et pénétrai dans ma chambre, il y faisait froid et humide.
Rien n'avait bougé depuis mon départ. Il restait de la bière dans le fond d'une
bouteille et; dans un cendrier, les mégots laissés par Mathieu. Le lit n'avait
pas été refait. J'avais l'impression d'explorer un navire englouti sous les
eaux, avec ses restes figés. Je me coulai dans mes draps trop humides sur
l'empreinte qu'avait laissée mon corps un an - auparavant.
De
grosses gouttes glissaient le long de la vitre tandis que je grelottais dans
mes couvertures. Je n'avais plus aucune notion de l'heure, j'étais à l'envers
du temps, du monde. J'avais envie de crier, de frapper l'air humide qui me
collait les yeux comme un linge mouillé. A l'aéroport, j'avais attendu Mathieu,
en vain. Mathieu restait dans sa cage; Mathieu n'était pas au rendez-vous;
Mathieu n'avait pas tenu notre promesse. Où en étais-je? Avais-je encore peur
de moi ? Il fallait que j'arrête là, pour toujours, cette nuit glaciale, la
cavale, l'errance, la recherche du corps perdu. Il fallait que j'arrête de
courir après mon ombre.
Je
ne sais si ce furent toutes ces raisons ou la colère, ou le désir fou de revoir
Mathieu qui me poussèrent dans un taxi. Les lumières des néons qui
barbouillaient la ville m'arrivaient comme des paquets d'écume.
Descendu
sur le trottoir, j'aperçus la moto de Mathieu : le phare cassé, les bras de
fourche tordus, le réservoir percé- Une loque de métal désarticulée. J'ouvris
une porte à la peinture écaillée : je traversai un long couloir humide qui
sentait l'urine et les relents de poubelle... puis une cour minuscule et sombre
comme une bouche assoiffée de lumière. Enfin, je touchai le fond de cette maison.
Il ne me restait plus à franchir qu'une porte peinte en rouge. Sur un bout de
papier jaune sale accroché par une punaise : « Mathieu. » Autour de ce nom, on
avait griffonné au feutre des numéros de téléphone.
En
ouvrant la porte, je sentis une odeur forte d'alcool et de cigarette. Je
quittai mon fauteuil et pris appui sur mes cannes. Je progressais difficilement
dans cet univers poisseux. Je suffoquais. Mes cannes cherchaient leur appui : ma
démarche manquait d'assurance. Je me pris les pieds dans une pile de linge
sale.
La
pièce du fond était séparée de celle où je me trouvais par un rideau effrangé.
Je perçus le souffle saccadé d'un homme endormi. Et si ce n'était pas lui?
Quelqu'un d'autre aurait pu y trouver refuge. Je pensai une seconde rebrousser
chemin ou bien attendre que là lumière entre dans la chambre. Mais j'étais à
nouveau face à moi- même!
Ses
cheveux .bouclés émergeaient des draps fripés. Un bras enserrait l'oreiller. Sa
tête livide semblait recouverte d'un épais maquillage blanc plissé au coin des
yeux, comme s'il s'était renversé une boîte de talc sur la figure pour incarner
dans sa solitude un nouveau personnage. Un visage blanc comme la mort. Sa jambe
gauche était maintenue dans un plâtre. J'appuyai le bout de ma canne sur sa
poitrine. Il se retourna et renversa sa masse
énorme de l'autre côté du lit. J'appuyai plus fort. Il se retourna à nouveau,
s'assit, encore abruti de sommeil. Enfin ses paupières s'agitèrent et il leva les
yeux sur moi. Je restai là un long moment, figé, puis je perdis l'équilibre et
tombai sur lui.
Je
le serrais de toutes mes forces. Il essayait de se dégager mais la prise était
solide. Les gestes- d'avant me revenaient, la clef de bras tenait bon... J'écrasais
mon ombre dans un étau de muscles. L'ombre cherchait encore la faille mais elle
faiblissait, s'étouffait peu à peu. Puis l'ombre devint plus claire,
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