Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Viens la mort on va danser

Viens la mort on va danser

Titel: Viens la mort on va danser Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Segal
Vom Netzwerk:
parlait
gentiment. J'aimais cette ambiance un peu folle, mêlée de cris, de rires, de
Champagne bon marché que l'on débouche en n'importe quelle occasion. J'aimais
la vie de tous ces jeunes baroudeurs de la photo et puis, pourquoi ne pas le
dire? le Turc me fascinait. On disait tellement
de choses sur lui qu'il entrait dans la légende des Mille et Une Nuits. On
disait qu'il s'était introduit à Cuba déguisé en curé avec le boîtier entre les
jambes, que grâce à ses photos de Chine il était devenu célèbre dans le monde
entier. Voilà qui me faisait rêver : « Bon, pour la soutane il a une longueur
d'avance; mais, pour la Chine, qui sait ce que le monde pensera de mes photos !»
    Car
une idée toute simple avait germé dans ma tête. Pour que le monde se connaisse
et me connaisse, il fallait lui présenter mes images.
    Je
me mis donc en quête d'une exposition photos.
    En
remontant la maigre filière de mes amis, rencontrés lors de mes voyages eh
Chine, je tombai une fois de plus sur Roland Do Hu, cet ex-pilote du roi du
Népal, grand spécialiste du Népal et du nord de l'Inde et sur lequel roule un
flot d'histoires. C'est lui qui m'avait fait connaître Laurence, qui m'avait
introduit auprès des Chinois, qui était mon espèce de tuteur en Chine; celui
qu'on appelle le « prince » et que je décrivais ainsi dans L'Homme qui marchait dans sa tête : « Tout droit sorti d'un livre de contes et
légendes de l'Orient du temps des guerres de l'opium. Mi- vietnamien,
mi-français, d'apparence asiatique, et toujours déguisé en aventurier (...), il
a une façon de fermer à demi ses yeux sur la fumée de son éternelle cigarette
anglaise et de laisser rebondir son ventre de bouddha qui fait de lui une
espèce de divinité noyée sous les nuages de l'encens... » Je retrouvai
également M. Song, l'homme qui savait sept langues à la perfection; il me
présenta dans les méandres de la diplomatie commerciale a des personnes qui
connaissaient quelqu'un qui connaît quelqu'un qui... Enfin, le résultat de tant
' de tractations fut la préparation d'une exposition photos. Elle aurait lieu
aux Galeries Lafayette pendant l'une des grandes foires commerciales du début
de l'année.
    L'organisateur
payait le tirage des photos, faisait imprimer les posters et conviait le «
Tout-Paris » à l'inauguration.
    Pendant
des semaines, au laboratoire, on a tiré, cadré, coupé. Les images sortaient des
bains une à une : le froid du désert de Gobbi; à Saigon une marchande de soupe;
les amoureux de Canton...
    Puis,
le matin du grand jour, on expédia le carton et les trente photos.
    En
attendant l'heure fatidique et le « Tout-Paris », ainsi que me l'a laissé
entendre M. Song dans son français nasillard, je tourne en rond dans
l'appartement. Je m'arrête devant un miroir: ma veste est un peu usée mais,
dans la foule, qui s'en apercevra? Ils seront là, les yeux écarquillés, la
bouche grande ouverte devant mes clichés. Je tourne comme un fou devant le
miroir. Ils n'auront jamais vu ça : des paysans chez eux, des amoureux, des
enfants éclatants de joie et de vie. Je vous promets que ma première exposition
fera du bruit !
    Devant
les Galeries Lafayette le service d'ordre fait circuler le flot des voitures.
Je me gare assez loin, le froid me fait du bien.
    Au
troisième étage ce n'est qu'une marée de smokings, de visons, de costumes
sombres, de robes longues en satin entre lesquels je navigue difficilement. Çà
sent le parfum et les épices. Des milliers d'objets de Chine, des centaines de statuettes
attendent, narquoises, sur les étagères. Ma gaieté semble un instant les forcer
à sourire. Les laques me renvoient mon image.
    Enfin,
je pénètre dans la salle d'exposition. Thierry et Delphine, la responsable des
archives photos de l'agence, m'aperçoivent et viennent vers moi :
    «
Alors les photos, ça en jette? Qu'est-ce qu'ils disent ? Je n'arrive à rien
voir au milieu de tout ce monde !»
    Delphine
me prend le bras et me dit tout doucement, comme pour ne rien briser, comme on
parle quand on veut sécher des larmes :
    «
Tes photos ne sont pas accrochées, ils les ont perdues cet après-midi au
service des livraisons. »
    Ces
mots m'arrivent au creux de l'estomac. Je me soulève sur les accoudoirs et,
dans le brouillard des fumées de cigarette, je regarde les murs, je n'entends
plus rien, tout me donne la nausée : les parfums, les laques, les épices, les
statuettes, les smokings, les satins, les

Weitere Kostenlose Bücher